Le grand rush

Déconfinement amer

Journal de quarantaine #8

Deux mois. Après deux mois de confinement, décidé le lundi 16 mai Image d'illustration Coronavirus : l'ascenseur émotionnel Jeudi soir, le Président a annoncé la fermeture à venir des universités en raison de l'épidémie. Récit de 24 heures folles à la fac. à l’horizon d’une vague meurtrière de pandémie à coronavirus qui déferlerait sur la France, après deux mois d'isolement Image d'illustration Vivre, ou survivre Après trois semaines de confinement, l’organisation des cours et TD à l’Université se rode enfin. Quid de leur bien-être ? pour des millions d'étudiants, après deux mois sans, pour beaucoup, avoir vu les proches autrement qu'à travers un écran de téléphone, la France est de nouveau libre. Huit semaines se seront écoulées depuis cette allocution d’Emmanuel Macron, scrutée par des dizaines de millions de Français, annonçant la mise en quarantaine du pays. Et depuis un mois et la dernière allocution du Président, tous les regards se portent vers cette date fatidique, annoncée par le Président tel un pari vers l’avenir, et scrutée par tous comme le jour de la Libération : le 11 mai. Ce 11 mai est le premier jour du monde d’après, celui où le coronavirus aura été vaincu en Europe, celui où nous pourrons de nouveau voir nos amis tout en pensant aux conséquences de ces derniers mois. À moins que

Pour les étudiants, ce 11 mai n'était pas si attendu. Nombreux sont les étudiants à être rentré, avant ou pendant le confinement, chez eux ; d’autres ont déjà recommencé à se voir avant le 11 mai ; et surtout, l’Université va rester fermée jusqu'à l'été. Les examens, actuellement en cours Image d'illustration Le grand rush Alors que la France vit ses derniers jours de confinement, la saison des examens à distance commence à Bordeaux. jusqu’au 18 mai, se poursuivront à distance, tout comme les partiels de rattrapage, qui seront en ligne — le Président ayant annoncé la fermeture des universités jusqu'à l'été. Une limite de 100 km étant imposée jusqu’au 2 juin, ceux qui habitent loin et sont donc restés sur Bordeaux durant le confinement, ne vont pas rentrer chez eux pour l’heure, mais plutôt profiter de l'été qui arrive. L’histoire de finir les examens, visiter un peu puis plier bagages, pour l'été à venir. L’Université fermée, il n’y aura pas de rituel de fin d'année Image d'illustration Voilà, c'est fini Mi-mai : les derniers partiels sonnent le glas de l’année. Tout est à remballer, jusqu'à la rentrée. , de dernier cours en amphi, d’au-revoir touchants, surtout me concernant, partant à l'étranger l’an prochain. Cette année, chacun est déjà rentré chez soi, et personne ou presque ne se reverra avant la rentrée. Une fin d’année dans l’anonymat le plus complet.

Visites impromptues

Ce jour du 11 mai n’a pas été le début d’une nouvelle ère pour les étudiants de la promotion. Accaparés par les examens qui continuent jusqu'à la fin de la semaine [voir épisode précédent, ndlr], personne ou presque n’est sorti de chez soi ce lundi pour divaguer dans les parcs ou aux quais. Ceux-ci étaient encore relativement vide ce lundi, la crainte d’une résurgence des cas étant forte…

Mais finalement, cette période de réserve aura été courte. Dès samedi, la rue Sainte-Catherine, la grande artère commerçante de Bordeaux, était bondée, tout comme les quais de Garonne où les jeunes profitaient du magnifique temps, des arbres verts, du décor fleuri, pour se prélasser, le plus souvent sans masque* Le Maire de Bordeaux, Nicolas Florian, a décidé de rendre le masque obligatoire sur la rue Sainte-Catherine, mais pas sur les quais. Devant l’affluence, les quais deviendront « dynamiques », excluant les pique-niques. sur l’herbe des bords de fleuve. Quel plaisir de voir autant de monde, après deux mois de confinement…

De mon côté également, le week-end a été au déconfinement des esprits. Dès le milieu de la semaine, je suis allé revoir mon amie albanaise, restée coincée dans son appartement durant les deux mois, et toujours sans possibilité d'être rapatriée. Une soirée passe, et les parties de Uno avec, le tout dans l’oubli total des gestes barrière, qui se comprend après deux mois de quarantaine. Et les examens passés, c’est presque quotidiennement que je vais la voir, pour combler ces deux mois où les relations amicales ont manqué, pour tenter de la battre au moins une fois au Uno [spoiler : c’est perdu] et pour profiter de ces moments privilégiés, où je ne peux rentrer chez moi (habitant à plus de 100 km de Bordeaux) avant le retour au bercail et la séparation pendant plus d’un an [cf. fin du post]. Le week-end de la Pentecôte, nous irons même tirer à vélo jusqu'à Lacanau, à 60 km de là — une expérience que je ne ferai qu’une fois…

Malheureusement, cette amie sera presque la seule. Parmi mes cercles de connaissances formés ces deux années d’université, quasiment tout le monde est rentré au pays. La fermeture de l’Université et le confinement ont poussé une première vague de réémigration, et les jours qui suivent le 11 mai sont pour les autres l’occasion d’un retour au bercail, dès la fin des examens, sans même attendre la suppression de la limite des 100 km. Du groupe de TD, il ne reste que quelques Bordelais et habitants de la Métropole, que j’ai pu retrouver pour deux pique-niques à l’ombre des arbres de l’Université ; de mes amis de L1 de l’an dernier, deux personnes.

La première est Agenaise mais respecte scrupuleusement la règle des 100 km, et c’est ainsi que j’ai pu la voir pour un pique-nique devant le restaurant universitaire, vide, les tables en bois toujours aussi détériorées, pour un déjeuner retrouvailles avant nos départs respectifs à l'étranger. Elle a relativement bien vécu le confinement chez son copain, pour ne pas être seule, malgré le fait qu’elle a un appartement à Bordeaux.

L’autre est mon ami catalan de L1, dont j’ai parlé plusieurs fois Image d'illustration Ne pas être à sa place Problèmes d’emploi du temps, groupes de classe qui volent, profs qui changent entre deux cours : la première semaine à la fac fait douter. dans ces colonnes, en L2 informatique. Faute de pouvoir rentrer chez lui, les frontières de l’Espagne étant closes jusqu'à la fin juin et les liaisons aériennes et ferroviaires interrompues jusqu'à nouvel ordre, il a tout de même décidé de déménager chez sa grand-mère, à Perpignan près de la frontière franco-espagnole, afin de ne plus payer de loyer supplémentaire à Bordeaux (une charge pour un étudiant). Nous nous recroisons un après-midi, où je l’aide à emballer ses cartons qu’il enverra par UPS, avant de partir le lendemain en train. Lui devait se rendre à Hong Kong (Chine) pour sa troisième année de licence, un projet de mobilité qui paraît très improbable à la vue de la situation actuelle. Dans ces conditions particulières, nous nous disons au revoir pour la dernière fois, un moment solennel et forcément un peu triste après deux années d’amitié grâce à l’Université, tout deux ne sachant pas ce que serait notre futur pour les prochains mois. Deux semaines plus tard, après des mois de tergiversations, l’Université de Bordeaux annulera les mobilités hors Europe pour le semestre d’automne, réduisant d’autant son projet de partir à Hong Kong.

Le restaurant universitaire, fermé depuis plus de trois mois.

Le restaurant universitaire, fermé depuis plus de trois mois.

Campus vide

Les quais de Bordeaux sont peut-être remplis, mais le campus est lui toujours aussi vide. Faute d’avoir repris les cours, et le télétravail étant toujours la norme jusqu'à nouvel ordre, les bâtiments de l’Université sont fermés à clef et les parcelles sont clairsemées. Quel bonheur de se balader dans ces rues et ces passages sans voitures, avec peu de personnes, et de (re)découvrir la flore et la faune que nous ne voyons que si peu en période plus calme, en raison des cours et des examens ! Et que de joie de découvrir ces jeunes qui profitent enfin des installations mises à leur disposition, et trop peu usées durant l’année scolaire. Quand Bordeaux-Montaigne est désert, la tranche B du campus, tout juste rénovée, fourmille d’individus utilisant les paniers de basket, les boulodromes et autres terrains de jeux mis en place durant l’hiver. Des familles se promènent également sur l’artère désormais piétonne de la fac, et des jeunes se prélassent dans l’herbe du parc, que personne ne traverse. Tous les midis, les tables de pique-nique du campus de Talence sont bondées de jeunes se retrouvant (comme nous) pour manger et papoter sur l’après ; et tous les soirs, des mineurs en skate-board usent l’esplanade du A22 pour faire leur activité en toute tranquilité. Même sans animations estudiantines, le campus a repris quelques maigres couleurs, et a été recolonisé par la vie, et non les voitures et études qui règnent habituellement sur le domaine universitaire.

L'esplanade du bâtiment A22 de l'Université de Bordeaux, avec au premier plan trois jeunes en trottinette mécanique.

À côté, les rues des villes de la périphérie font pâle figure. Les gens que l’on voit rue Sainte-Catherine et sur les quais ne sont au final qu’une minorité, qui se regroupe aux endroits propices à la farniente et au shopping. À Gradignan, à Talence ou à Pessac, les rues sont vides, même le week-end, et le confinement tendrait même à paraître prolongé, si le défilé des voitures, qui elles ont repris leurs droits, n'était pas présent. Ce constat est somme toute normal : les étudiants sont rentrés chez eux, le télétravail persiste, et avec, la crainte d’attraper le virus. Les touristes ne viendront pas avant plusieurs semaines voire mois, et marchés et autres animations culturelles sont au mieux limités, au pire annulés, dans l’attente de jours meilleurs. Qui plus est, les injonctions à porter des masques n’aident pas à profiter des beaux jours… Pour cette première semaine post-confinement, le virus est encore dans pas mal de têtes, à l’affût d’une seconde vague.

Campus, rues sont encore gelées… mais ici et là pourtant, de grands travaux se préparent. Non loin du campus, des marquages jaunes font eux peu à peu leur apparition sur les artères de la Métropole. À l’issue du déconfinement, pour éviter que les personnes prennent les transports en commun, qui sont encore très limités en raison de l’application du protocole sanitaire et de la lente reprise du personnel qui doit garder leurs petits jusqu'à l’ouverture des écoles, des aménagements cyclables ont fleuri peu à peu à Bordeaux et ses alentours, pour encourager le report modal, non pas vers la voiture mais vers le vélo. Alors que durant les premiers jours, les services techniques des mairies se concentraient sur les grands axes (boulevards, cours bordelais) menant vers les pôles de travail et de vie ; ces premiers jours de juin voient eux apparaître des aménagements provisoires… vers le campus. Car le grand risque de la rentrée est bien là : comment accueillir des dizaines de milliers d'étudiants sur les campus, alors que les tramways sont bondés en temps normal, et que le réseau arrive à saturation ? Nul autre choix que d’inciter fortement les étudiants à venir à pied ou en vélo sur leur lieu d'études.

Trois cyclistes et une personne en roller sur la piste cyclable devant la place des Quinconces, à Bordeaux.
Des pictogrammes vélo avec un panneau de signalisation sur lequel est écrit ATTENTION Modification de la circulation suite à la mise en place du plan vélo d'urgence

Devant les Quinconces ou la place Peixotto de l'Université, les vélos sont les petits princes du déconfinement.

Cette question de la rentrée universitaire est ancrée dans de nombreuses têtes. Après les examens, les étudiants recevront plusieurs mails les incitant à remplir des sondages, des enquêtes de satisfaction, des formulaires de soumission d’idées, afin d’organiser au mieux la rentrée universitaire. Contre toute attente, celle-ci se déroulera vraisemblablement sous un format hybride. Comprendre : non, les étudiants ne pourront pas tous revenir sur le campus à la rentrée. Distanciation physique, port du masque obligatoire, incapacité de venir pour les étudiants internationaux, nombreuses sont les raisons qui font que la rentrée prochaine ne sera pas normale. Des bruits qui courent, il se dirait que les informaticiens ont d’ores-et-déjà fait le choix de ne pas dispenser de cours en amphîthéâtre l’année prochaine, ce qui est plus facile compte tenu de la filière… Côté mathématiques, rien n’est encore décidé. Enseignants et étudiants préféreraient naturellement des cours en amphithéâtre, pour éviter un burn-out psychologique Image d'illustration Je suis fatigué Retard, difficultés et isolement : après cinq semaines, le confinement commence à peser sur le moral des étudiants. des étudiants qui ont mal vécu ces deux mois de cours à distance. Mais le risque d’un retour du virus est beaucoup trop fort pour ne pas prévoir des scénarios catastrophes. En espérant pour les étudiants, notamment les futurs L1, que l’on aura appris de ces deux mois de cours bien particuliers.

Un nouveau départ

Ces premiers jours de juin arrivent et sonnent d’une tonalité particulière pour moi. Je pourrais être heureux de constater que la seconde vague que j’attendais de pied ferme n’est pas arrivée. Je pourrais retourner chez moi, la limite des 100 km venant d'être levée, les restaurants venant de rouvrir, la vie reprenant somme toute comme avant. Mais ces premiers jours de juin sont pour moi tout un tas d’au-revoir, parfois définitifs. Ce 3 juin, nous nous retrouvons avec quelques étudiants de la promotion pour une dernière soirée, chez mon amie albanaise. Ce vendredi, cette dernière et son compagnon repartiront chez eux, après plusieurs mois d’attente pour un vol de rapatriement vers l’Albanie. Elle sera là à Bordeaux l’an prochain — faisant toute sa licence en France —, pas moi ; et c’est pour cela que ces jours ont une odeur désagréable.

Durant cette soirée, tout comme précédemment, nous jouons au Uno, aux Loups-Garous de Thiercelieux aussi Image d'illustration Vacances ! Vacances ? Six semaines de confinement plus tard, nous sommes enfin en vacances. Ou du moins, théoriquement. , tout en racontant nos vies entre étudiants de la promotion qui ne sont pas trop parlés durant le confinement. Une personne est restée à Amsterdam, son vol vers le Maroc ayant été annulé ; une autre a mal vécu ces deux mois avec sa famille nombreuse, très nombreuse.

Le jour suivant, je retrouve mon amie pour l’aider à nettoyer sa demeure, la veille de son départ. Au fil de la discussion, nous remontons jusqu’ aux premiers jours de cette année Image d'illustration Et c'est reparti. Quelques jours avant les néo-bacheliers, les L2 et L3 reprennent progressivement, et découvrent tous les changements de l'été. , où nous nous sommes rencontrés, et tout ce qui en a suivi. Les au-revoir à des amis sont difficiles, touchants, surtout pour quelqu’un d'émotif comme moi. Ce soir-là, nous nous quittons non sans larmes de mon côté, avec la saveur amère d'être passé à côté de cette année. Je quitterai Bordeaux le lendemain.


L’an prochain, je ne reviendrai en effet pas à Bordeaux. Malgré ces circonstances exceptionnelles, je ferai ma troisième année de licence de mathématiques fondamentales à Lund, en Suède, en mobilité Erasmus. Ainsi, je ne reverrai pas toutes ces personnes qui ont fait ces deux années de licence avec moi, pour un dernier au-revoir. L’an prochain, nombreux sont ceux qui continueront à Bordeaux en réalité : la COVID—19 étant passée par là, l’Université a préféré annuler toutes les mobilités hors Europe pour le prochain semestre. Ce même COVID aura empêché que cette fin d’année soit célébrée dignement entre étudiants ayant en projet de partir à l'étranger, comme on aura pu l’envisager : à la place, chacun est parti de son côté, naturellement, et les « À bientôt » d’il y a trois mois se sont transformés en « Adieu » pour un an ou plus. R., F., A., toutes ces initiales qui ont fait ces deux années de Un robot à la fac dans la métropole bordelaise ne reviendront plus dans ces posts, ni dans ma vie, avant un certain temps. Pour moi, le déconfinement aura un goût amer.

Malgré le nombre encore élevé de cas de maladie à coronavirus, malgré le fait que la Suède n’a jamais confiné sa population, j’irai en Suède vivre une année qui sera définitivement particulière. Paperasse à faire, départ à planifier, repères à prendre, nouvelles amitiés à créer, habitudes à laquelle il faudra me familiariser : ces prochains mois ne seront pas de tout repos pour moi. L’an prochain, la Suède m’offrira un tout autre décor, une toute nouvelle expérience de vie, un dépaysement volontiers bienvenue… tout en ayant une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Ces prochains mois seront racontés sur son site aussi, des préparatifs au départ jusqu’au vol retour.

D’ici là, l'été sera chargé pour moi, entre voyage en train à travers l’Europe et recherche de logement à Lund, ce qui ne sera pas une mince affaire. La saison 2 d’un robot à la fac s’achève, avant de nouvelles aventures Image d'illustration Une nouvelle aventure Alors que nous vivons une pandémie mondiale, je vais partir en Erasmus à Lund (Suède) pour ma L3. L’histoire d’une nouvelle aventure. .

Photographie d'Adrien
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