On est foutus

Coronavirus : l'ascenseur émotionnel

Réactions à la fermeture annoncée des facultés

L’attente. C’est le mot qui peut résumer cette journée du vendredi 13 mars 2020, hier, après l’annonce de la fermeture de toutes les universités de France métropolitaine pour contrer la propagation du coronavirus. La veille à 20 h, lors d’une allocution télévisée, le Président de la République a demandé la mobilisation générale des Français, pour aider à freiner l'épidémie de COVID-19 qui touche le pays, l’Europe et le monde entier depuis plusieurs semaines. Le nombre de contaminations accroit exponentiellement au fil des jours : près de 3 000 cas alors qu’une dizaine de jours auparavant, ils n'étaient même pas cinquante. Alors, pour enrayer la progression du SARS-CoV-2* SARS-CoV-2 désigne le virus, pour coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère, deuxième édition (après celle de 2003), tandis que COVID-19 désigne la maladie associée. , le chef de l'État prend notamment une mesure drastique : la fermeture de toutes les écoles, de la crèche à l’université, « jusqu'à nouvel ordre ». Branlebas de combat.

Pronostics

Je dois l’avouer, je ne pensais pas qu’une telle nouvelle serait décrétée. Jusqu'à jeudi midi, tout se passait normalement à l’Université. Après sept semaines de cours puis une semaine de vacances début mars, les étudiants avaient repris le chemin des cours ce lundi, avec en tête les examens qui allaient arriver la semaine prochaine. Ces jours-ci, l’heure était plutôt aux révisions et aux interrogations concernant les matières, qui plus est après des congés où les étudiants ont tendance à… oublier les ce-que-l’on-croyait acquis précédents. Normal alors que la reprise soit difficile pour certains, et normal également les peurs à l’approche des devoirs surveillés intermédiaires, mais rien de méchant.

Évidemment, dès lundi, les étudiants en parlaient. Souvent au détour de blagues, ou de pronostics sur la tenue ou non des examens. Naturellement, beaucoup espèrent en douce le report de ceux-ci, pour pouvoir se laisser le temps de réviser, surtout sur ce semestre qui est plus compliqué que les autres Image d'illustration On est foutus Nouveau semestre, et non des moindres : le semestre du décrochage commence à Bordeaux. Quatre mois à tenir… pour les étudiants qui font face à des cours plus théoriques, moins algorithmiques. Mais pour une moitié du groupe de TD, ce virus reste encore une grande inconnue : le délai d’incubation, le fait que 80 % des infectés ne font pas ou peu de symptômes, ou surtout la grande contagion des personnes même avant l’apparition de la maladie ne sont pas réellement connus. En en discutant avant les heures de TD, certains trouvent tout cela disproportionné, mais surtout beaucoup (dont moi) préfèrent encore en rire, parfois noir.

Quant aux « gestes barrières », ces gestes qui permettraient d'éviter le partage de la maladie (et de toutes les maladies comme la grippe)* À savoir :
• se laver très régulièrement les mains
• tousser ou éternuer dans son coude
• utiliser des mouchoirs à usage unique
• rester chez soi en cas de maladie.
, ils sont appliqués… plus ou moins. Lundi, certains vont dans le sens de la responsabilité, et refusent des poignées de main, en souriant avec un petit « On ne sait jamais ! ». Quand une personne refuse de serrer la main, le groupe a tendance à suivre. Mais avant ce premier refus, les bises et salutations foisonnent, comme si de rien n'était.
Ces gestes barrières prennent toutefois peu à peu effet au fil des jours, non pas par grosse prise de conscience politique des jeunes, mais surtout par reproduction sociale de ceux qui les appliquent. On ne sait jamais.

L'affiche officielle du gouvernement pour diffuser les gestes barrières contre le coronavirus, sur un mur de toilettes de l'Université.

Depuis plusieurs jours déjà, les gestes barrières s'affichent. Partout : aux toilettes, sur les portes, les vitres…

La veille de l’allocution, certains sentent le coup venir. Depuis plusieurs jours déjà, l’Italie a fermé ses écoles et universités, mais à ce pays s’ajoutent progressivement de nombreux autres dans l’Union Européenne : Espagne, Grèce, Autriche, Albanie… Sur Internet, on peut voir des posts, même de personnes étrangères, qui se moquent de ce décalage entre la France qui annonce que la cocaïne ne protège pas du virus, et les autres pays qui ferment leurs frontières, restaurants et écoles.

Réponse au Covid-19 : L'exception à la française from r/france

Cet étonnement est d’autant plus fort chez les étudiants internationaux, qui ont très régulièrement et plus qu'à l’habitude des nouvelles de leurs proches au pays : leurs écoles sont fermées, les rassemblements interdits, les universités proposent des cours en ligne, les compétitions sportives sont arrêtées… tandis que, là où ils sont, on prend le virus à la légère, en affirmant encore jeudi matin que la fermeture d'école n'était pas envisagée, ou que les élections auraient bien lieu. Une amie provenant de Nottingham (Royaume-Uni) ne se cache pas :

« C’est bizarre. »

Mercredi soir, l’annonce d’une allocution du Président le lendemain 20 h tombe. Que va-t-il annoncer ? C’est le sujet de discussion des intercours ce jeudi. Pour une fois, certains annoncent qu’ils vont la regarder, ce qui change beaucoup du comportement des étudiants en Sciences & Technologies, dont on a l’impression qu’ils ne s’intéressent que peu à la politique. Mon amie albanaise pense que c’est la fin des haricots ; j’imagine plutôt le passage au stade 3* et le report des élections municipales sine die. Le stade 3 est la troisième étape du plan de pandémie grippale, élaboré par le gouvernement français après la crise du H1N1 en 2009. C’est le stade où la progression du virus est incontrôlée, et il faut « coordonner les systèmes de santé » et tenter d’aplatir la courbe, c’est-à-dire ralentir la progression de l'épidémie pour qu’elle touche les individus peu à peu, et non d’un coup, afin d'éviter l’engorgement des hôpitaux.

La journée continue, normalement, avec son lot de cours et de TD, comme si rien dehors ne se passait. Pas un mot sur l'épidémie, plutôt sur ceux de l’examen mercredi.

L’annonce

Je dois être l’un des rares à ne pas avoir suivi l’allocution présidentielle, et probablement l'étudiant du groupe de TD qui a eu la nouvelle en dernier. Pour ma défense, j'étais en longue réunion à ce moment-là, et j’avais oublié mon téléphone chez moi… Pour ma part, l’annonce tombe vers 23 h 30 quand, une fois rentré chez moi (oui, je vous avais dit que la réunion était longue), j’aperçois un mail d’une de mes professeures de TD, qui envoyait une correction des exercices de la veille, en concluant :

« Je serai présente demain matin, on traitera en priorité vos questions, puisque je ne sais pas encore comment ça va se passer pour la suite. Je vous tiendrai informée dès qu’on aura des directives de l’université. »

Puis j’aperçois deux appels : un de chez moi, un de mon amie albanaise. Ha. Un dernier coup d'œil sur France Info confirme mes pensées :
Coronavirus : toutes les écoles de France fermées dès lundi 16 mars.

La première chose qui me vient à l’esprit est le report (toujours pas annoncé, mais logique) des examens. Yes! Cette épidémie me donne quelques jours de plus pour réviser, et surtout pour comprendre ces séries numériques que je n’arrive pas à blairer. Une bouffée d’air frais alors que ces derniers jours étaient pour moi à flux tendus.

Puis me vient le contre-coup. Comment ? Comment vont s’organiser les cours, les examens, l’année universitaire si la faculté est fermée ? Vont-ils décaler l’année d’autant de semaines ? Les examens intermédiaires vont-ils être annulés, mettant toute la note de la matière sur un seul sujet ? Va-t-on avoir des vacances amputées ? Les cours vont-ils se transformer en simple lecture de polycopiés et échange de corrections d’exercices par mail ? Et quid de l'équité, si certains ont déjà passé des examens mais pas nous encore ?

Toutes ces questions n’ont naturellement pas de réponse en cette nuit. Il est minuit passé quand j’appelle mes parents, qui ont pour première interrogation :

« Bon, on vient te chercher quand ? »

Saut dans l’inconnu

Il faudra attendre 10 h 42 avant d’obtenir la première communication de l’Université par mail. Avant cela, nous nous retrouvions dès 8 h pour un énième TD avec la prof susmentionnée.

« J’avais raison ! »

À mon arrivée dans la salle de TD, un étudiant me rappelle que ses pronostics étaient les bons. Nous en sourions, et parlons de ce « dernier jour de cours » avant « les vacances » bien méritées (ironie, après seulement une semaine de cours). Désormais, l’heure est aux pronostics sur la tenue des examens. Seront-ils simplement reportés ? Dispensés en ligne ? Annulés, posant tout le semestre sur le DST ? Une partie de la salle hurle à l'écoute de cette possibilité. Concentrer le semestre sur la session de mai, après plusieurs semaines de quarantaine, n’arrangerait personne et pénaliserait vraisemblablement les nombreux étudiants qui pensaient tout de même gratter des points grâce à ce DSI, plus facile car moins complet.

L’enseignante arrive. « J’imagine que vous avez eu la nouvelle… » La voilà à faire le service après-vente de l’annonce d’hier soir, alors qu’aucune directive n’a encore été passée concernant les cours, les examens ou le reste. Évidemment, toutes nos questions restent sans réponses, chacun étant dans l’expectative de décisions que l’administration prendra, selon les directives de l'État. Avec elle, nous discutons des possibilités : comment étudier dans ces conditions ?

« On va voir avec vous comment on peut s’organiser pour le cours, j’espère que ça sera plus que juste le polycopié… »

Pourtant, l’Université n’est pas l'école la plus impactée par cette mesure. Au fond, pour certains, cela ne change même rien, car ils révisaient déjà avec le polycopié du cours de l’année (ou, si le professeur était récalcitrant à sa diffusion, de l’année précédente) et des livres d’exercices pour certains, rien pour d’autres. Pour les étudiants en Sciences & Technologies, à l’exception des examens reportés, cette crise n’en sera pas une : les étudiants auront à étudier le polycopié de cours chez eux, les enseignants enverront des feuilles d’exercices puis, plus tard, des corrections ; et les étudiants ayant des questions pourront toujours leur envoyer des e-mails. Cette méthode est certes moins interactive et beaucoup moins pédagogique que l’enseignement en présentiel, mais il est clair que les cours ne s’arrêteront pas durant cette quarantaine.

Après un quart d’heure d’interrogations et de non-réponses, le cours reprend jusqu'à son terme. À la fin de l’heure, l’enseignante nous répète ses informations, nous demande de rester connectés aux dernières nouvelles via notre boîte mail, et nous souhaite bonne semaine.

La scène se répète ensuite pour les autres cours de la journée, notamment avec le responsable de la licence, avec qui on passait que l’on aurait plus d’informations. Nenni, et c’est logique. Pour lui, la situation de la fac et des cours dépendra de la durée estimée de la fermeture de l’Université :

« Si ce n’est que deux semaines, on pourra faire l’examen et reprendre les cours ; si c’est six semaines… […] À la fin juin, ce n’est pas possible. »

Cette durée interroge tout le monde. Dans la journée tombent des dépêches sur des paroles prononcées par untel ou untel. La Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche annonce que la fermeture durera au moins deux semaines, le Ministre de l'Éducation Nationale parle d’une fermeture des écoles aux lycées jusqu’aux vacances de printemps. Imagine-t-on la fac fermée jusqu’au 3 mai, date de reprise post-vacances dans la zone A, et surtout de début d’examens terminaux à l’Université de Bordeaux ? Durant l’amphi, certains essaient de graber l’information via son téléphone portable, tout en sachant que la fermeture a été annoncée « jusqu'à nouvel ordre ».

La question des examens est surtout au cœur de toutes les préoccupations. Chaque enseignant y va de son hypothèse, certains pensant qu’ils seront supprimés, d’autres essayant de les caser coûte-que-coûte :

« Ne pensez pas que ce seront des vacances […], on va voir comment on vous fera passer des examens. On est en train de penser à des devoirs maison, mais pas les devoirs maison habituels où vous avez deux semaines. Peut-être que l’on vous enverra le sujet par mail et que vous aurez quatre ou six heures pour le faire chez vous et nous le scanner… »

Quid aussi des examens en ligne, un temps mentionnés et utilisés dans d’autres universités, comme à Paul Valéry (Montpellier) lors des blocages contre la loi ORE ? En licence mathématiques, il est difficile pour l’instant d’imaginer de telles conditions d’examens : les mathématiques sont très théoriques et pas grand monde ne connaît le LaTeX, le langage d'écriture mathématique sur ordinateur. La proposition ci-dessus pourrait être une solution, mais va là aussi se poser le problème du scan des sujets, tout le monde (voire personne) n’ayant pas d’imprimante chez soi et la bibliothèque universitaire étant elle aussi fermée dès lundi… « Ça sent l’idée foireuse. » résume un étudiant sur le groupe de conversation de la classe. Alors, l’idée du 100 % examen terminal fait son chemin, non sans faire soupirer certains. Une pensée notamment pour les étudiants en psychologie, du campus de la Victoire, dont les partiels du premier semestre étaient déjà reportés en avril suite au blocage de la fac en décembre Image d'illustration La vie malgré la grève 5 décembre 2019 : on attendait le chaos. À Bordeaux, les étudiants ont fait avec. Chronique d’une journée presque ordinaire.

Vacances ?

Pour beaucoup d'étudiants, la période qui arrive ressemble à des vacances. Celles-ci seront plus longues qu'à l’accoutumée, certes, mais leur fonctionnement ne change pas : revenir au pays, et pendant cette période d’arrêt du campus, réviser comme on le ferait avant les périodes d’examens.

Mais se pose une grande question, pour ces pseudo-congés : que faire la semaine prochaine ? Cette interrogation a été dans de nombreuses bouches chez les étudiants ne vivant pas chez les parents. Revenir au bercail, ou rester ici ? Personnellement, j’ai fait le choix de rester à Bordeaux, car retourner chez moi ne servirait à rien, pire, je pourrais peut-être importer le virus en Lot-et-Garonne… Pour ceux qui restent, comment occuper ses journées ? Certains proposent de se revoir, notamment moi pour jouer à des parties de pétanque à notre santé. D’autres vont profiter de ces journées pour voyager, profitant des prix bas des transports publics. Des véléhités en totale contradiction avec les consignes données par le Gouvernement, à savoir de rester chez soi le plus possible pour éviter de contracter et de propager le virus.

C’est là où le bât de la fermeture des universités blesse : les étudiants vont-ils respecter les consignes, à savoir passer ces semaines chez eux, ou continuer à se voir pour passer de bons temps ensemble ? Effectivement, ils ne se regrouperont pas par centaines comme en amphithéâtre, mais la vie va continuer… tout du moins, si le virus ne sévit pas trop.

Car, loin des images de rayons de supermarchés pris d’assaut que l’on peut voir sur les réseaux sociaux, la peur du coronavirus se profile, en particulier chez les étudiants étrangers. Une université californienne a ordonné le rappel de ses compatriotes dans les 31 jours, en finissant par avance l’année pour eux. En Grande-Bretagne, nul ne sait que faire des étudiants européens, alors que le virus sévit moins fort là-bas. Le soir, après les cours, je discute avec l'étudiante de Nottingham. Nous parlons de toute cette situation et des prochaines semaines, quand elle me montre un message qu’elle reçoit à l’instant d’une de ses compatriotes, également à Bordeaux :

« Im taking my flight to home in 4 hours lmao »
Je prends l’avion vers chez moi dans 4 heures.

Les jeunes sont les moins concernés par les symptômes du coronavirus, mais l’idée de l’attraper dans ce pays sans pouvoir revenir chez soi fait peur. Certains rentrent alors chez eux pour être près des leurs, avant une possible fermeture des frontières, comme aux États-Unis. C’est dans ces moments-là que, nous étudiants français, nous rendons compte du poids de la période qui s’ouvre.

Ce vendredi soir, la bibliothèque est ouverte, encore jusqu'à samedi. Et un nombre inhabituel de personnes viennent emprunter des ouvrages pour le week-end. Certes, ce n’est pas la cohue non plus, mais quelques-un veulent faire des réserves de connaissance, avant le shutdown de la bibliothèque pour plusieurs semaines. À la BU des étudiants en santé, la file devait être bien plus remplie…

Et la vie continue ?

Même si le mot était sur toutes les lèvres aujourd’hui, le coronavirus n’a pas empêché les cours de continuer. À 17 h, le responsable de licence concluait même la première partie de son UE, juste à temps avant de changer totalement de notion. Et alors que nul ne sait la suite des événements dans les jours à venir, celui-ci de nous dire au moment de ranger nos affaires :

« À la prochaine ! »

Le soir, les premiers mails depuis celui de l’annonce à 10 h 42 tombent. Le directeur du campus appelle à respecter les gestes barrières et le confinement, le responsable de la licence invite à se connecter très régulièrement tous les jours, pour suivre les modalités d’enseignement et d'évaluation dans les prochains jours. « Pour le moment, l’objectif reste de continuer la formation selon le même calendrier. » écrit-il. À 21 h, la Présidence de l’Université invite les étudiants à « rester chez eux ou à rentrer sur le lieu de leur résidence principale ». Les enseignements seront dématérialisés via du « e-learning », des vidéos, du « live ». Les cours sont donc maintenus. Pas les examens. Dans un message diffusé à 17 h aujourd’hui, alors qu’au même moment, le Ministre de l'Éducation nationale annonce le maintien des examens universitaires, le directeur du campus oppose un tout autre discours :

« Jusqu'à hier, il était envisageable sous certaines conditions de maintenir quelques examens les semaines à venir. Mais suite à une consigne du rectorat de ce jour, sachez que hors les concours, aucune épreuve (examen, DS, …) ne peut se tenir en présentiel dans les prochains jours, et ce jusqu'à nouvel ordre. »

Lundi, le coronavirus devrait réussir ce que les syndicats étudiants ont échoué à faire durant des années : bloquer le campus de Sciences & Technologies.

Photographie d'Adrien
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