J'ai testé pour vous… les tests Covid en Suède

Bas les masques !

Suède x COVID-19 : le choc des cultures

Cela ne fait que quelques jours que je suis en Suède Image d'illustration Plongée dans l'inconnu Après 24 h de train, me voilà arrivé à Lund. Récit de ce 17 août 2020, première journée de mon aventure , et j’ai l’impression d’avoir fait un bon de six mois dans le passé. Le ciel est bleu, les températures — tristement — chaudes pour un été scandinave, les orages sont légions… mais ce n’est pas la météo qui me choque, mais bien le comportement des Suédois. Ils sont gentils, agréables, profitent des beaux jours… le tout, sans masque ou presque. La COVID n’est pas oubliée, et les stickers et bouteilles de gel hydroalcoolique sont là pour le rappeler. Mais ici, contrairement à l’immense majorité des pays de ce monde, et à la tendance du port obligatoire qui s’impose ces dernières semaines, le masque n’est pas obligatoire, ni même recommandé en Suède. J’ai quitté la France avec le masque au bout du nez, l’ai porté durant mes dix premières heures de trajet, en France puis en Allemagne. Puis je suis entré dans un autre monde. Étrange sentiment d'être dans une bulle, alors que le monde autour de nous se protège contre une pandémie mondiale.

De nombreuses personnes sur la Rue Lilla Fiskaregatan à Lund, sans masque. Sur la droite, les terrasses des bars et restaurants sont bondés. La distanciation sociale n'est pas très respectée…

Lilla Fiskaregatan, principale rue piétonne de Lund, 22 août 2020.

Immunité collective

Je ne peux pas dire que je ne le savais pas. Depuis le premier confinement, la presse mondiale, particulièrement française, parle régulièrement de ce « particularisme » suédois, qui fait bande à part du reste du globe. Lors de la première vague du printemps dernier, la Suède est le seul pays de l’Union Européenne à ne pas avoir confiner sa population. Les écoles, restaurants, bars sont restés ouverts, les lycées et universités ont basculé à distance, et les services publics ont fermé. Trois grands principes ont été édictés dans ce pays scandinave : les rassemblements de plus de cinquante personnes sont interdits pour l’année ; le télétravail doit être massif jusqu’au printemps 2021 ; la distanciation physique de un mètre cinquante respectée en toute circonstance, partout, tout le temps.

« [La lutte contre le coronavirus] ne s’agit pas d’un sprint, c’est un marathon »
Isabelle Lövin, vice-Première ministre suédoise

L’objectif d’abord sous-entendu serait d’atteindre l’immunité collective, c’est-à-dire de laisser se propager le virus à petit feu, jusqu'à ce que suffisamment de personnes aient été infectées et ne puissent plus repropager le virus, laissant éteindre l'épidémie à petit feu. L’auteur de cette stratégie, et secondairement le principal conseiller du gouvernement suédois, n’est autre que l'épidémiologiste en chef de l’agence de santé publique suédoise Anders Tegnell. C’est lui qui est chargé de façonner et de diriger les politiques dans une stratégie pour lutter contre la COVID–19, ou plutôt contre une trop forte épidémie. Même si l’objectif n’est pas annoncé tel quel, il est plus ou moins clair : le virus doit se propager peu à peu dans la population, mais pas trop afin d'éviter une surcharge des hôpitaux. Au fond, « aplanir la courbe » plutôt que tenter de la casser.

Pour cela, les recommandations suédoises visent à éviter le plus de contacts possible au sein de la population, tout en gardant une vie sociale entre personnes, afin de rendre la crise « acceptable socialement ».

« Nous sommes prêts à prendre des décisions plus fortes pour contenir le virus mais nous savons aussi que cette épidémie ne va pas disparaître en une ou deux semaines, cela va durer des mois. En accord avec nos experts, nous prenons donc des mesures qui sont acceptables par la population sur le long terme. »
Isabelle Lövin, vice-Première ministre suédoise

À l’opposé, les personnes âgées, trop à risque, sont isolées du reste de la population. La stratégie se dessine : le virus doit se diffuser au sein de la population active, les personnes âgées doivent avoir le moins de contact possible jusqu’au vaccin. C’est ainsi que, dès mars, les visites en maison de retraite ont été purement et simplement interdites, même durant l'été — la règle a été levée à la fin octobre, avant d'être remise en place… quelques semaines plus tard.

Les écoles, restaurants, bars, salles de sport, bibliothèques, n’ont pas fermé. La seule règle majeure, criée partout et respectée de tous, était la distanciation physique, jusqu'à deux mètres entre les personnes. Étaler la courbe, mais vivre normalement.

Spoiler : ça ne marchera pas. Fin avril, Anders Tegnell se réjouit que plus d’un quart de la population à Stockholm a attrapé une immunité au virus. Certains affirment même que la Suède aura atteint ses objectifs d’immunité collective d’ici la fin du mois. Il n’en est rien. Les études qui remontent durant l'été font état de seulement 6 à 10 % des Suédois qui ont développé des anticorps.

« Je commence à avoir de plus en plus de doutes quant à savoir si nous aurons un jour une véritable idée de ce à quoi l’immunité ressemble dans la population. »
Anders Tegnell, dans Aftonbladet, juillet 2020.

Fin novembre, l’agence nationale de santé de suédoise admet que ses projections étaient trop optimistes. « Moins de personnes sont immunisées en Suède qu’on ne le pensait » concède Tegnell.

Pendant ce temps, des milliers de personnes sont décédées, énormément plus qu’au Danemark, en Finlande ou en Norvège, les autres pays scandinaves qui ont eux confiné leur population. Surtout, la grande majorité de ces décès provient des maisons de retraite, pourtant fermées au monde extérieur, mais qui ont été un véritable vivier à virus. En juin, pic du nombre de décès en Suède, 70 % étaient des personnes en maison de retraite. « Nous n’avons pas réussi à protéger nos aînés. […] C’est un échec pour la société toute entière » se désole la ministre de la Santé.

En octobre, le renommé magazine TIME publie une longue enquête et tribune sur la gestion catastrophique de la pandémie en Suède, étayée par de nombreux mails entre responsables de l’agence de santé suédoise, le gouvernement, et leurs confrères scandinaves — des mails obtenus légalement auprès de l'équivalent de la CADA suédoise*. En France, tout citoyen a le droit de demander consultation de ressources produites par les services publics et le gouvernement, si cela ne nuit pas à l’intérêt général. La Suède est le pays le plus ouvert en termes de publication des documents issus du gouvernement : même les mails issus d’administrations publiques peuvent être consultés sur simple demande. Ce droit est l’un des piliers de la Constitution suédoise. Cet article fait un petit scandale, car même s’il ne fait que confirmer la politique suédoise entamée à demi-mots par l'épidémiologiste, il révèle également que la politique anti-masque suédoise, et plus globalement la gestion du COVID n’est au fond également qu’une question d’ego. Anders Tegnell n’y était pas favorable, pour des raisons liées là aussi à l’acceptabilité par la population et l’impact psychologique d’une telle mesure ; et lorsque ses confrères finois et norvégiens se mettent à le recommander… Anders persiste, pour ne pas donner l’impression de faire volte-face. La consistence suédoise, maître-mot pour réussir ce marathon, ne pas déprimer la population… et éviter un krach de l'économie.

« Nos syndicats se sont battus pour que l’on puisse porter le masque au travail. La réponse de l’aéroport [de Stockholm] était que nous sommes une institution qui ne doit pas propager la peur, et plutôt montrer que le virus n’est pas si dangereux. »
— Une employée de l’aéroport de Stockholm Arlanda, citée par le TIME.

Visage découvert

C’est ainsi que j’ai découvert la Suède en août dernier… avec un visage totalement différent de la France. Alors que quelques semaines plus tôt, le Président de la République décrétait le port du masque obligatoire dans les commerces et bâtiments de France et de Navarre… ceux-ci ne sont guère portés ici en Suède. Pas de masque chirurgical, ni même de masque en tissu dans les rues : nous sommes ici à la fin août, et dans le train Image d'illustration Pourquoi j'ai choisi de partir à Lund en train Pour aller de Bordeaux à Lund, j’ai choisi le rail plutôt que l’air. Un choix atypique, mais réfléchi. Surtout, une autre expérience du voyage au-dessus de l'Öresund, entre le Danemark et la Suède, nous autres étudiants étrangers (venant souvent de l’aéroport voisin de Copenhague) sommes les seuls à porter un masque dans le train. Étrange impression de vivre dans un autre monde… et ce n’est que le début.

Le jour de mon arrivée, une personne de l’accueil chargée de nous aider à nous enregistrer officiellement au sein de la faculté, sourit en voyant mon tee-shirt. Je porte en effet un Qwertee avec comme motif l’oncle Sam, icône américaine, masqué, et un paraphe : « I WANT YOU TO WEAR A MASK AND STAY AT HOME » (Je veux… que tu portes un masque, et que tu restes chez toi), tee-shirt allusion à la pandémie, aux confinements, petit souvenir de cette période morose. Sa réaction :

« Nous n’avons peut-être pas de masques, mais au moins vous voyez nos sourires ! »

Les jours passent et je ne peux constater la différence culturelle entre la France et la Suède. Seules quelques rares personnes portent le masque, dans la rue mais aussi au sein des centres commerciaux, des transports en commun, des lieux de vie. À la place, des étiquettes « Håll avstånd », « Gardez vos distances », des nudges au sol, des règles, des clips sur les écrans, incitent à respecter une distance d’au moins un mètre cinquante (contre un mètre en France). Et cela marche. Dans le supermarché, les gens font la queue en respectant une large distance. Chacun attend derrière une personne qui prend un produit dans un rayon. Devant le stand de fromage à la coupe, les gens sont dispersés à des distances relativement élevées, alors que la hauteur sous plafond n’est pas très grande. Oui, les Suédois jouent clairement le jeu de la distanciation sociale. Seul rempart contre le coronavirus.

À Stockholm [en avril 2021], des affiches placardées sur tous les panneaux de signalisation, rappelant de respecter ses distances. Seule mesure contre le coronavirus en Suède.

À Stockholm [en avril 2021], des affiches placardées sur tous les panneaux de signalisation, rappelant de respecter ses distances. Seule mesure contre le coronavirus en Suède.

Durant les premiers jours des semaines d’orientation, les étudiantes et étudiants étrangers continuent à porter le masque, même durant des activités en extérieur. Iels sont bien les seul·e·s : les accompagnants, le staff universitaire, n’ont rien mis à part du gel hydroalcoolique… et nous formons un groupe de touristes, aisément distinguable par nos masques au milieu d’une population à visage découvert. Les étudiants prennent difficilement l’habitude durant ces premiers jours… même si cela va vite changer.

En effet, dans les rues, au sein des supermarchés, les gens portant des masques sont regardés bizarrement. Les gens nous évitent, nous personnes masquées, comme des pestiférés. En réalité, le masque ici est considéré comme réservé seulement pour les malades, et les personnes en portant un sont donc vues comme de potentielles victimes de la COVID–19. C’est bien ces mauvais regards qui sont les plus difficiles à supporter pour nous, qui souhaitons nous intégrer au pays. Assez désagréable impression d'être vus comme des étrangers qui allons importer la COVID en Suède.

Alors, on se fait peu à peu à l’idée de ne pas porter de masque. Après une dizaine de jours, je ne portais plus de masque même pour aller dans les centres commerciaux habituellement bondés. Dans les rayons des commerces, on joue un peu au chat et à la souris pour éviter d'être trop près l’un de l’autre. Mais à part ça, des affiches à perte de vue, et du gel hydroalcoolique à l’entrée de toutes les échoppes… le COVID–19 n’est comme pas présent en Suède.

Après deux semaines, les étudiants d’origine asiatique continuent à porter le masque, vraisemblablement par habitude culturelle de porter un masque en pandémie et lors des pics de pollution… une habitude que nous avons pris en Europe, mais que nous allons peut-être, probablement, délaisser à l’issue de la crise mondiale. Certains le feront vite tomber, par pression sociale (clairement différente ici !) et/ou volonté de s’intégrer au sein des groupes sociaux suédois. Quelques irrésistibles réfractaires continueront… et ils seront rejoint, en novembre, par de plus en plus de gens, à mesure que la deuxième vague approche. L’histoire d’un pays à la stratégie sanitaire complètement décalée. La Suède, détonnant bastion qui marche seul dans sa lutte contre le coronavirus.

Photographie d'Adrien
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