Vivre, ou survivre

Les examens de la discorde

Journal de quarantaine #4

Le confinement se poursuit, et est vraisemblablement parti pour durer. À l’Université de Bordeaux comme ailleurs, les étudiants tentent tant bien que mal de suivre les enseignements, qui eux se poursuivent malgré la distance. Un mois s'est écoulé Image d'illustration Coronavirus : l'ascenseur émotionnel Jeudi soir, le Président a annoncé la fermeture à venir des universités en raison de l'épidémie. Récit de 24 heures folles à la fac. depuis la fermeture des universités, et la machine semble prendre pied. Au dernier recensement effectué par une camarade de groupe de TD, seule une poignée d'étudiants s’est déconnectée de la situation ; un chiffre beaucoup plus inquiétant dans les autres groupes et promotions. Les inégalités sont particulièrement exacerbées Image d'illustration Vivre, ou survivre Après trois semaines de confinement, l’organisation des cours et TD à l’Université se rode enfin. Quid de leur bien-être ? par ce confinement : lundi, un maître de conférences nous indiquait de ne pas avoir de nouvelles de « deux tiers de la promotion en L3 ». Une statistique naturellement à prendre avec des pincettes, mais qui montre bien toute la difficulté de regrouper des étudiants, avec toutes les contraintes que l’on connait sur cette population précaire.

Les cours se poursuivent, donc l’année. Cependant, une échéance reste encore inconnue : les examens de fin de semestre. Étant donné que les devoirs surveillés intermédiaires n’ont pu avoir lieu en seconde année — tombant tous durant la première semaine du décrété confinement —, les étudiants se demandent légitimement à quelle sauce vont-ils être mangés, comment diable vont-ils pouvoir être évalués ce semestre. Alors que le confinement est parti pour durer, et que l’interdiction d'événements en réunion semble se profiler jusqu'à la fin juin, des signaux contraires ont été envoyés par les enseignants au fil des semaines. Avec, jusqu'à mardi, une grande interrogation : les examens vont-ils avoir lieu en ligne ? On pensait que l’Université attendait des consignes du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, qui devait arriver début avril. Il n’en est rien : le 27 mars, les Ministres faisaient paraître une ordonnance* Une ordonnance est une sorte de décret à caractère de loi, permettant d’outrepasser le Parlement sur des notions précises, sur lesquels le Parlement a voté une délégation temporaire. Dans cette crise, le Parlement a voté mi-mars une loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances pour faire face aux conséquences de la crise du COVID—19. , laissant libre cours aux Universités de faire ce qu’elles veulent vis-à-vis des examens, à deux conditions : garder un traitement équitable, et convoquer les étudiants quinze jours à l’avance. Les jeux sont ouverts…

Une tarte aux fraises faite maison.

Il me fallait bien une image d'illustration…

Retour en arrière : la grande inconnue

Les précédents articles, écrits tous les samedis, font bien état du saut vers l’inconnu que représentait le confinement, vis-à-vis des examens, pour étudiants et personnels. Au le début de la quarantaine Image d'illustration La fac, mais sans la fac Journal de quarantaine : première semaine. La France se confine, mais la vie suit son cours. Difficile pourtant de continuer à étudier dans ces conditions… , un enseignant, responsable d’UE, pour la licence informatique, confiait :

« Question examens, évaluations… On navigue à vue à l’heure actuelle. »

Deux semaines plus tard, ie. la semaine dernière, nous ne savions toujours pas quelle serait la forme, et quand auraient lieu les examens. Revenons un peu sur la chronologie de ces derniers jours.

Dans les premiers jours après l’annonce de la fermeture des écoles et universités, le collège de Sciences & Technologies souhaitait toujours organiser les examens de mi-semestre, se déroulant la semaine suivante, quitte à respecter les gestes barrières. Cette idée aura tenu… 36 h, avant qu’un mail vienne anéantir ces espoirs :

« Mais suite à une consigne du rectorat de ce jour, sachez que hors les concours, aucune épreuve (examen, DS, …) ne peut se tenir en présentiel dans les prochains jours, et ce jusqu'à nouvel ordre. »

Le surlendemain, le confinement général est décrété. Après une période de cafouillage, les étudiants se retrouvent, et on pense alors que ce confinement ne durera que quelques semaines : le Ministre de l'Éducation Nationale parie alors sur un retour des élèves en cours au 4 mai. Il est légitime de penser que, dans ces conditions, les examens pourraient se tenir, quitte à réduire la voilure sur le programme durant le confinement. Il faudra attendre dix jours pour qu’un enseignant nous annonce la couleur : « officieusement », il serait impossible d’organiser des événements en collectif jusqu'à juillet. Cette rumeur, que les enseignants entendent d’autres enseignants, par le jeu du téléphone arabe, se fait de plus en plus persistante. Deux choix s’offrent alors : organiser les examens en ligne, ou reporter les partiels à juillet. Aucun des deux choix n’est pleinement satisfaisant.

Les examens en ligne ont pour désavantage clair et net d'être inéquitable pour tous : des étudiants pourraient avoir des soucis de connexion, des obligations familiales, des problèmes techniques, et ainsi être privés du semestre pour des raisons matérielles. Surtout, chacun pourrait échanger à sa guise avec d’autres, voire faire faire l’examen par un autre. Il existe bien des solutions privées pour tenter de vérifier si la personne ne triche pas, mais elles sont payantes et surtout hautement intrusives, sans que leur fiabilité ne soit démontrée…

De l’autre côté, reporter les examens en juillet, voire en septembre comme certains le préconisaient, inflige une triple peine aux étudiants : deux mois d’attente, sans cours étant donné que l’année se finit à la fin avril, durant lesquels les étudiants vont probablement perdre des acquis, une perte de vacances méritée, et surtout une perte de revenus, pour les très nombreux étudiants qui travaillent à temps plein durant la période de congés universitaires, de juin à août. Casse-tête également pour organiser les corrections, et des examens de rattrapage, obligatoires au moins pour le semestre d’automne. Et c’est sans compter sur les difficultés sociales que cela engendre, notamment vis-à-vis du logement, la plupart des baux étudiants étant sur 10 mois.

Dramas de promotion

La réponse nous sera confirmée officiellement ce mardi, par un mail du collège dont nous dépendons :

« Examens de première session ou de contrôle continu intégral :
Tous ces examens auront lieu d’ici fin juin et se dérouleront à distance. »

Mais aucune information sur les MCC, les modalités d’examens par UE. À vrai dire, les responsables n’en savent pas plus que nous, car pour l’heure, rien n’est décidé. En mathématiques, les maîtres de conférence ont jusqu'à ce mercredi pour envoyer leurs nouvelles conditions de passation d’examens à l’UFR, entité responsable des programmes sur l’ensemble des formations dispensées en maths.

Naturellement, ce manque d’informations rend anxieux nombre d'étudiants, qui ne savent pas comment ils vont être évalués en fin de semestre. L’optique de devoir passer un oral d’examen, de type oral d’agrégation réputé pour sa difficulté, ou d’avoir à subir des examens en temps limité, ne réjouit pas la majorité des personnes dans la promotion. Seulement, cette absence de décisions contribue également à la dégradation des relations entre étudiants, certains ne comprenant pas que l’on puisse évaluer des étudiants en ligne, voire refusant des examens qui ne seraient pas en présentiel, pour des questions d'égalité de traitement. Pour ces derniers, souvent dans la tête de promotion ou venant de classes préparatoires, et donc entraînés à la compétition, hors de question d'établir un classement des étudiants ce semestre, si l'évaluation doit se faire par des DM ou autres examens où l'étudiant peut tricher à sa guise. Se dresse alors deux clans dans la promotion, et la pensée des examens vient à devenir un sujet tabou, interdit, digne des repas de famille où il ne faut pas parler politique.

Cette mésentente ne date pas d’hier. Il y a deux semaines déjà commençaient les premières discussions entre partisans d’examens en ligne, et opposants à des partiels qui ne seraient pas en présentiel. En tant que délégué Image d'illustration Délégués, avenir et blocage La vie suit son cours à l’université, où le semestre 3 se termine. L’occasion de faire une rétrospection sur des petites anecdotes de vie… de mon groupe de TD, j’ai eu à me faire porte-parole d’opinions totalement contraires, lors de la réunion semestrielle avec le responsable de mentions.

« Adrien, il faut absolument que tu fasses comprendre [aux responsables] qu’on est tous contre les examens en ligne, je compte sur toi…! »

« Non mais les examens en juillet, c’est pas possible… »

« On les fera en septembre au pire, mais pas d’examens en ligne ! »

À chaque TD, lorsque venait la question des examens, deux camps se faisaient face et tentaient d’influencer l’enseignant·e de son côté, pour influer sur la décision finale. Les étudiants qui viennent à tous les TD insistent sur le fait que des examens en ligne équivaudrait à donner le semestre dans un pochette surprise ; ceux qui viennent occasionnellement tentent de faire comprendre, tant bien que mal, qu’il est inimagineable de convoquer des étudiants pour des examens en juillet. Les enseignants jouent alors à l’acrobate, tentant de ramener à la raison tout le monde, préfigurant de ce qui sera annoncé quelques jours plus tard. Il faut « conserver des examens équitables », tout en étant « bienveillant » et conscient que nombreux sont déstabilisés par la période… et en confiant que l’on se dirige tout de même vers des examens en ligne, mais possiblement sous contrainte, pour éviter de « dévaluer le diplôme ». Joli.

« Pour vous, qu’est-ce qui est important ? […]
Vous vous focalisez sur le groupe ; ce semestre, vu les circonstances, il y aura des étudiants qui vont valider mais qui n’auraient pas validé en temps normal, mais pensez à vous ! […]
Ce semestre ne sera pas évalué dans les conditions normales. Mais la plus grande des injustices serait que quelqu’un qui travaille normalement mais qui n’a pas les conditions pour suivre les cours, n’ait pas son semestre. »
— Un professeur de TD, en réponse aux complaintes de la non-représentativité des notes de DM.

Même son de cloche du côté des maîtres de conférence : alors que la veille de la fermeture de l’Université, un souhaitait organiser un DSI en temps limité, c’est-à-dire donner cinq ou six heures pour envoyer des copies de son sujet, celui-ci dit à demi mot que l’examen pourrait se faire uniquement sur un DM quasiment exclusivement sur le programme vu avant le confinement. A contrario, une autre envisageait pour les L3 un examen en 3 h suivi d’un oral dans la foulée, faisant fi de l’impossibilité de certains de pouvoir être connecté tel jour à telle heure.

« On ne va pas donner le diplôme ! »

Il y a deux semaines, à cette même réunion semestrielle, j’avais poussé un cri du cœur : que l’on soit fixé rapidement sur ces examens, pour arrêter avec les débats stériles et les conflits qui n’emmènent rien que de l’aigreur. Deux semaines plus tard, il n’en est rien. Certes, nous savons désormais que les examens se feront en ligne, mais les modalités n’ont toujours pas été définies, alors que ceux-ci auront théoriquement lieu dans quatre semaines ; et le conflit entre étudiants a changé de curseur, concernant la tenue de devoirs à domicile ou non.

Point d’orgue de cette crise : un cours hier sur Discord Image d'illustration Faut-il utiliser Discord pour ses cours ? Pour suivre les cours durant cette période, nous nous sommes tournés vers Discord. Bien nous en a pris ! , où le maître de conférences mentionné plus haut a évoqué cette épineuse question, puis a demandé l’avis des étudiants.

« Je ne peux exprimer que mon étonnement et mon mécontentement. »

Oh dear we are in trouble

Un étudiant prend alors la parole, et dénonce le fait de baser la note de l’UE sur un unique devoir maison. Le raisonnement est logique, ou du moins compréhensible : les bons étudiants n’ont pas envie, voire sont démotivés à l’idée de se faire passer devant par des camarades qui auraient pu se servir d’Internet, de leur voisin, ou de leur hypothétique parent prof de maths qui ferait le sujet à la place de l'étudiant pour avoir une bonne note. Même si cela n’ait que pour une UE, cela influerait grandement sur le classement final de l'étudiant dans le semestre, voire dans la licence entière — un indicateur primordial pour la sélection en master ou la réorientation en école d’ingénieur. Et quel meilleur exemple que ce DM, en structures algébriques, qui aurait dû être le DSI de mi-semestre et a été reconverti en devoir à faire à la maison, mais comptant toujours dans la note de l’UE, et dont on a appris le matin-même que la moyenne du groupe de TD était de… 15,5/20.

Le matin-même, cette moyenne avait fait parler d’elle, et plusieurs étudiants s'étaient plaints de la non-représentativité de la note. « Il faut limiter les dégâts, et faire un oral… » proposait la même personne.

« Le principal, c’est de ne pas permettre l’identification d’une relativité entre le niveau de l'élève et le niveau des autres élèves à un jury d’admission potentiel. »
—Un étudiant, en L2 mathématiques.

Il n’en faudra pas plus pour déclencher un drama sur le salon Discord entre étudiants de la promotion, à base d’emojis–réactions* Discord permet de réagir aux messages en insérant un petit emoji sous celui-ci. Une fonctionnaité initialement vue sur Slack. et de pavés dans la mare. Sel à volonté.

« En quoi ça vous handicape que les autres personnes aient des bonnes notes ?
— C’est juste que j’ai bossé pour mon classement de L2, et si n’importe quel tocard avec assez de volonté peut se choper un 20, rien n’a plus de sens. »

Réactions sous un message : 8 pouces en l'air, une personne apeurée, un masque, une lune et un cœur rouge.

Réactions sous un pavé, qui n'est PAS le message ci-dessus.

Le soir-même, le responsable de l’année enverra un message pour tenter d’apaiser le débat et de calmer des tensions qui subsistent dans le groupe :

« Il faut accepter que l'évaluation fine, au S4, est, dans la situation actuelle, quelque chose d’impossible et de secondaire. La meilleure chose à faire, dans la mesure du possible, est de s’accrocher et de continuer à apprendre des mathématiques. Pour ceux qui ont la chance d'être dans des conditions permettant de poursuivre ces apprentissages en ce moment, c’est la seule stratégie qui sera payante et récompensée sur le long terme. »

Quels examens pour les L2 ?

Hier a eu lieu une réunion exceptionnelle entre responsables et délégués, pour tenter d’informer les étudiants de la situation actuelle et des choix qui devraient être faits. Une fois décrété que les examens doivent avoir lieu en ligne — ce qui n'était déjà pas une évidence, certaines universités préférant attendre le déconfinement* Aussi étonnant que cela puisse paraître, des universités et écoles font le choix d’attendre, quitte à passer des examens en juillet. C’est le cas de Toulouse I, pour qui l’innumérisme est un problème. Chaque fac, et même chaque UFR, est libre de ses décisions… —, encore faut-il savoir comment vont-ils avoir lieu. Pour éviter la triche et garantir la sacro-sainte valeur du diplôme, des universités, comme celle de Perpignan, font le choix de faire passer des examens télésurveillés par des entreprises privées. Le principe : être constamment filmé durant l'épreuve chronométrée, avec un ordinateur bloqué sur l’onglet, et les images analysées par un algorithme pour déceler de potentielles triches. Toute perte de connexion étant rhédibitoire, cela va de soi. Une « télésurveillance », encouragée par le Ministère (!), qui ne peut que poser des problèmes d'égalité des chances, de vie privée et d’intrusion, qui plus est vu le coût du dispositif, jusqu'à 10 € par étudiant et par heure !

Dans l’UFR de mathématiques, la question ne s’est même pas posée. Il suffit de se rendre dans un TD pour apercevoir toutes les difficultés liées au numérique que peuvent vivre les étudiants. Certains n’ont pas de micro, un grand nombre se contente de regarder les feuilles d’exercices depuis son téléphone portable, par manque d’ordinateur personnel, je n’ai pas une connexion stable, et beaucoup sont revenus dans leur campagne natale, loin des « 2 Mbps en upload » demandés. Impossible dans tous ces cas de faire de la télésurveillance, et les étudiants ne vont pas être enclins à faire une demande pour obtenir des clés 4G pour passer un examen, qui plus est en campagne.


À rebours de ce flicage et de la volonté de garder la main sur les rendus des étudiants, les responsables d’UE de mathématiques semblent converger vers une notation bienveillante, pour les étudiants… et assez inédite en sciences. La solution vers laquelle semblent converger les enseignants serait plus un DM, avec une semaine de rendu, essentiellement sur le programme vu avant le confinement, suivi d’un oral de vérification, plusieurs jours plus tard, qui porterait sur le DM en question, et aurait plus attrait à vérifier si la note du DM correspond au niveau de l'étudiant, et donc à lui ajouter ou enlever des points si nécessaire. Bref, ne pas réinventer l’eau chaude, mais bien garder une notation au niveau de l'étudiant, bienveillante, avec un oral de simple vérification, loin des khôlles des classes préparatoires.

Ce système est semble-t-il le plus conciliant, concernant les problèmes mentionnés précédemment. La semaine laissée pour faire le DM permet de s’affranchir des contraintes d’emploi du temps et d’accessibilité numérique, l'étudiant pouvant donc télécharger, faire puis envoyer son sujet depuis son téléphone sans stress sur un temps limité ; l’oral, qui peut être par téléphone donc accessible à (presque) tous, est là pour vérifier le niveau de connaissances aperçu durant l'écrit. Si un étudiant copie les réponses d’un autre pour le DM, cela se sentira très vite à l’oral, ce qui le fera plonger ; à l’inverse, un étudiant maitrisant les notions du DM et sachant répondre à quelques questions supplémentaires durant la session téléphonique pourrait voir sa note augmentée.

Il reste deux problèmes. D’une, la volonté de la fac d’organiser ces examens aux mêmes dates que prévues avant le confinement va particulièrement gêner les étudiants perdus à cause des cours à distance, et qui ont pu décrocher. Ils représentent une part non négligeable de la promotion. Deuxièmement et surtout, la notation est alors centrée sur un unique DM, ce qui peut légitimement angoisser plus d’un.

« Moi, ce qui fait le plus peur c’est [de n’avoir] qu’un DM pour être noté donc si on le loupe, on a des grandes chances d’aller aux rattrapages… en ligne*. »
— Une déléguée, à l’issue de la réunion.

L'administration de la faculté demande aux instances responsables d'envisager fortement des examens de rattrapage à distance, compte tenu de l'incertitude vis-à-vis du déconfinement.

En effet, contrairement aux étudiants en L3, nous n’avons pas eu d’examens de mi-semestre, et à part le DM susnommé, aucune note de contrôle continu n’a été attribuée. La crainte ici est donc de perdre son semestre à cause d’une unique note, potentiellement sur des notions qui n’auraient pas été vues par des étudiants en raison de la fracture numérique.

Élan de générosité… vraiment ?

Ainsi, aussi étonnant que cela puisse paraître pour une UFR de sciences, la plupart des enseignants ont décidé d’attribuer la note minimale de 10 à tout étudiant qui en fait la demande, à l’issue des examens. Une revendication des syndicats, de neutraliser le semestre, et surtout une demande des délégués, après sondage de la promotion, qui a parcouru son chemin au sein des responsables ces derniers jours. Officiellement, rien n’est et ne sera acté — ce principe étant a fortiori à faire modifier au niveau du collège. Mais ce mouvement devrait se faire officieusement, grâce à la souveraineté des jurys.

« Au moins on sort de l’hypocrisie actuelle, de dire que les examens doivent se passer comme à la normale, alors qu’on sait tous que cela ne serait pas le cas. »
— Un éminent maître de conférences, durant la semaine.

Le principe est simple, mais peut se révéler à double tranchant pour les étudiants : à l’issue de l'épreuve orale, le correcteur révélera la note à l'étudiant… qu’il peut accepter, ou prendre un 10. Naturellement, les étudiants ayant eu plus de 10/20 accepteront leur note ; mais l’inverse ne sera pas aussi logique, car cela peut se retourner contre les étudiants. En effet, une fois une UE acquise (en ayant 10/20 à celle-ci, ou plus), impossible de la repasser, d’obtenir une meilleure note ou de suivre des cours. Néanmoins, en particulier en mathématiques, il est nécessaire de maîtriser les acquis d’un semestre pour comprendre les notions du semestre suivant. Ainsi, un étudiant qui choisirait malgré tout de valider le semestre, malgré des connaissances bancales, partirait pénalisé au semestre 5… voire échouerait, deux fois, et raterait sa licence pour une décision qu’il a prise au semestre 4. Les enseignants lors de l'épreuve orale auraient alors à cœur de faire rendre compte aux étudiants du choix très important qui leur incombent : valider l’UE malgré tout, et probablement rater sa licence à cause d’un S5 horrible ; ou redoubler pour repartir sur de bonnes bases. Pour le responsable de mention, nul doute que beaucoup y réfléchiront à deux fois.

C’est d’ailleurs ce qui explique cet élan de générosité de la part des responsables de la L2 : les étudiants qui valident ce semestre auront tout le loisirs de rater leur licence au S5 ravageur (20 % de réussite !), n’enlevant rien à la valeur du diplôme. À l’inverse, il serait dommageable qu’un étudiant n’ait pas son semestre pour des raisons purement techniques, dues aux inégalités sociales.


Néanmoins, le côté privé de cette décision fait que toutes les matières ne seront pas logées à la même enseigne. « Les responsables d’UE font comme ils le souhaitent » en respectant les dates butoir, rappelle un supérieur hiérarchique. Et certains en L3 ne se font pas attendre, souhaitant tout de même partir sur des épreuves en temps limité. « La seule chose est que, si c’est en temps limité, il faut qu’il y ait un examen de seconde chance, avant les rattrapages. Donc deux dates… »

D’autres, toujours en L3, ont demandé à passer leur UE en « contrôle continu intégral », un dispositif existant depuis 2012 mais réaffirmé dans le nouvel arrêté licence, qui consiste à transformer l’UE d’un fonctionnement DSIDST en une succession d'épreuves le long du semestre… supprimant les rattrapages pour la même occasion. C’est le cas depuis cette année pour les étudiants en L1, grâce au nouvel arrêté qui explicite que le contrôle continu intégral supprime les rattrapages, étant déjà considéré comme une seconde chance — chose qui n'était pas le cas les années précédentes après une décision de justice, et qui était une condition sine qua none de son application pour les Universités. Néanmoins, pour cela, il faut qu’il y ait au moins trois évaluations dans la matière… ce qui sera loin d'être le cas pour nous, en L2.

Les modalités de contrôle des connaissances devront être envoyées mercredi aux responsables, pour approbation le 23 avril en conseil de collège — ce qui implique qu’aucun examen ne pourrait avoir lieu avant le 7 mai. D’ici là… tout est encore possible, et malgré cette annonce faite plus ou moins officieusement, les enseignants et responsables restent prudents, car tout le monde n’aura pas la même vision du « 10 minimal ».

Idem concernant l’autre point de crispation, le classement entre étudiants ce semestre. Interrogé, notre responsable a renvoyé la question à la scolarité. Le problème avait été sous-estimé, mais étudiants et personnels approuvent : un classement basé sur ce semestre ne serait qu’injustice pour tous ceux qui travaillent durs comme fer pour être dans les bonnes places de la promotion. Seulement, la neutralisation du classement ce semestre est-elle même possible ?

Même après ces réunions, les étudiants sont anxieux vis-à-vis de ces conditions d’examens. Un seul contrôle, parfois sur le programme vu durant le confinement, est-ce raisonnable ? Les correcteurs vont-ils réellement être bienveillants dans la notation des copies ? Quid des étudiants avec une mauvaise connexion internet durant les oraux ?* Il a été également annoncé mardi que le Collège organiserait des partiels en juillet pour les étudiants malades du SARS-CoV-2, réquisitionnés, ou souffrant de la fracture numérique. Toutes ces questions auront, on l’espère, des réponses bientôt. La semaine qui suit va être importante. Mais pour l’heure, il est urgent d’attendre.

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