Faut-il utiliser Discord pour ses cours ?
Depuis deux semaines désormais, les étudiants sont, comme les Français et pas mal de gens dans le monde, assignés à résidence, afin d’enrayer la propagation du COVID-19, maladie due à un coronavirus venue de Wuhan (Chine) qui tue des milliers de personnes en France comme ailleurs. Cependant, une échéance approche à grands pas, et n’est pas prêt d'être repoussée : la fin de l’année universitaire, prévue en théorie pour les L2 dans quatre semaines (!), suivie d’une semaine de congés puis de la période de partiels. Les étudiants de L2 devaient avoir fini leur année universitaire le 13 mai. Le coronavirus est passé par là…
Pour l’instant, la seule communication officielle concernant la fin d’année est celle tombée le premier jour de la fermeture Coronavirus : l'ascenseur émotionnel Jeudi soir, le Président a annoncé la fermeture à venir des universités en raison de l'épidémie. Récit de 24 heures folles à la fac. , le 16 mars dernier, de l’Université :
« Ne connaissant pas la fin de la période de fermeture de l’université, nous travaillons dans l’hypothèse où le calendrier des examens est conservé. »
Étudiants comme enseignants travaillent donc dans l’optique de finir le semestre d’ici un mois. Mais comment communiquer à l’heure où les étudiants sont parfois à des centaines de kilomètres les uns des autres ? Les mails ne se suffisant pas pour dispenser un enseignement de qualité, chacun est parti vers son outil de prédilection, s’il existait, de telle sorte que les différents acteurs, de l’enseignement supérieur comme de l'éducation, utilisent différentes plateformes, qui fonctionnent… ou pas, souvent pour des raisons économiques et dogmatiques. Le Ministère de l'Éducation Nationale pousse à l’utilisation de « Ma classe à la maison » et des classes virtuelles proposées par le CNED, d’autres établissements ont organisé un serveur Microsoft Teams de lycée, l’Université de Bordeaux a installé Moodle* il y a des anneées Moodle est une plateforme libre permettant de créer des communautés autour de cours en ligne. Ainsi, les étudiants d’une UE peut avoir accès à une page sur la matière en question, où peuvent être déposés fichiers, cours, vidéos… le tout intégré dans l'ENT de l’Université. , certains enseignants à la fac souhaitent nous faire utiliser Zoom*… Zoom est une solution de réunions en visioconférences, similaire à Skype, qui ne nécessite pas d’inscription pour les participants. Elle est faite aussi l’objet de controverses liées à sa politique de gestion de données. tandis que nous, étudiants, avons créé et convaincu autres membres du groupe et enseignants d’utiliser un serveur sur la plateforme Discord, qui fait l’objet de grands débats depuis quelques jours quant à sa légalité. Pour l’heure, nous n’avons pas à nous plaindre…
Du lobbying dogmatique
Discord est une plateforme propriétaire gratuite de communication textuelle, audio et vidéo, fonctionnant par serveurs privés où sont regroupés des salons de discussion à thèmes. Mélange de Skype, Slack* Slack est un outil de communication d’entreprise, permettant des communications textuelles sur des sujets séparés grâce à des salons textuels. et TeamSpeak, il a été fondé par Hammer & Chisel, une entreprise américaine initialement portée vers le jeu vidéo, dans le cadre d’améliorer et de regrouper les communications des joueurs. C’est pour cela qu’il s’est fait rapidement connaître chez les jeunes : là où les joueurs de jeux vidéo utilisaient des conversations Skype pour l'écrit, et des logiciels comme TeamSpeak ou Mumble pour les communications vocales publiques, Discord permettait de réunir tout ceci, avec en prime d’autres avantages spécifiques au monde du jeu vidéo : un overlay, ie. une micro-interface en surimpression des jeux vidéos lancés, une intégration du jeu joué en cours, pour potentiellement rejoindre une partie, une API spécifique… Suivont ensuite les conversations vidéos à plusieurs (jusqu'à 10) ou le partage d'écran, permettant de susplanter définitivement le lourd Skype dans la communauté gaming. Avant le confinement, il est utilisé par plus de 250 millions de personnes à travers le monde… ce qui a facilité son adoption pour les cours en ligne.
Pourquoi en effet s’embêter à utiliser d’autres plateformes, qui parfois ne marchent même pas, quand une partie des élèves sont déjà maîtres d’un logiciel qui fonctionne et qui reste accessible à tous ? C’est pour cela que, dans l’enseignement supérieur comme dans les lycées, nombreuses sont les classes à passer par cet outil, au lieu des classes virtuelles proposées par le CNED avec le concours de l’entreprise Blackboard, qui étaient inaccessibles dans les premiers jours, et sont trop légères d’accès.
Quelques jours plus tard, nouveau son de cloche dans l'Éducation Nationale : Discord serait à bannir, car il ne respecterait pas le RGPD, ou règlement général à la protection des données, le règlement adopté par le Parlement Européen en 2016 et en vigueur depuis le 25 mai 2018, visant à conserver la souveraineté numérique des données des Européens. Les délégués à l’accessibilité numérique installés dans les différentes académies de France, à l’unisson avec le syndicat SNES, sonnent que Discord est une solution « très intrusive », qui vendrait la vie privée de nos jeunes, voire — à lire dans Ouest-France :
« Le CLEMI d’Aix-Marseille [qualifie] Discord [de] “logiciel espion”, qu’il faut “désinstaller”. »*
Petite histoire du pourquoi de cette qualification, à lire dans Libération.
#ContinuitéPédagogique
— Axel Jean (@AxelJean77) March 27, 2020
professeur ↔️ élèves
Pas de discorde ↔️ Pas de #Discord@Edu_Num #RGPD
--> classe virtuelle @cned et autres solutions académiques ou nationales @EducationFrance#ERUN #DANEhttps://t.co/WL2i2Rwt38
Les rectorats font passer un mail prohibant l’utilisation de Discord car « anti-RGPD », tandis que sur Twitter, des enseignants demandant des conseils ou racontant leurs aventures sur la plateforme se font réprimander par d’autres, relayant un article traduit de Spyware Watchdog, un collectif jugeant les logiciels*, qui qualifie le « risque d’espionnage » comme « très élevé » en listant des points problématiques du logiciel, comme le fait qu’il analyse tous les processus ouverts sur l’ordinateur, pour hypothétiquement vendre ces données à des annonceurs. Ce même collectif juge Firefox, logiciel dont l’essentiel du code source est libre, comme intrusif… .
Pendant ce temps, sont recommandés voire obligés l’utilisation des outils payés par le Ministère (les classes virtuelles du CNED), les régions (les ENT), l'établissement (Pronote notamment), ou les partenaires… comme OneDrive ! La situation est kafkaïenne :
- le service de classe virtuelle proposé par le CNED est réalisé par Blackboard, qui a pour seul avantage par rapport à Discord d'être localisé… en Europe ;
- les ENT, gérés par les régions, sont presque toutes conçues par des entreprises privées ayant remporté un appel d’offres pour développer une solution adaptée à quelques milliers de connexions en soirée, pas pour une utilisation continue par des millions d'élèves bloqués chez eux. Résultats, les régions doivent mettre en place des horaires selon les classes pour éviter des embouteillages ;
- les solutions de gestion des emplois du temps et de devoirs à la maison ne permettent pas de proposer des vidéoconférences ;
- que dire de OneDrive, propriété de Microsoft, qui respecte sûrement le RGPD mais n’est certainement pas le plus sain en termes de vie privée ?
Message de rappel concernant la RGPD à l’instant .... J’hésite entre salvateur et inquiétant puisqu’en dehors de l’ENT et de la plateforme du cned tout est fortement déconseillé, y compris les mails persos. Avec une mention spéciale pour discord ....
— Sacré confiné (@sacrecharlemagn) March 23, 2020
Il serait aussi facile de faire remarquer que ces responsables critiquent l’utilisation d’un logiciel privatif, alors que les ordinateurs des établissements scolaires tournent majoritairement sous Windows, avec Google Chrome comme navigateur voire Microsoft Office comme solution bureautique ! Il est simple pourtant de comprendre la raison de la démarche : containdre les enseignants et les élèves à se tourner vers les solutions pour lesquelles l'Éducation Nationale a des relations contractuelles. Pourquoi utiliser un outil privé alors qu’un autre est payé par le contribuable pour faire la même chose, en pire ? Et tant pis si celle-ci ne marche pas :
« Non ! A l’impossible nul n’est tenu ! »
Je vois beaucoup de collègues utiliser Discord pour l’EAD (ou d’autres réseaux sociaux), toutefois (en tout cas dans le secondaire) : nous venons de nous faire rappeler que cela est interdit en raison du RGPD et du fait que les établissements n’ont pas la licence pour ces sites.
— Dimitri Tilloi (@DimitriTilloi) March 17, 2020
À vrai dire, quand on s’intéresse un peu à l’origine de ces critiques, on retrouve deux catégories de personnes, aux intérêts pourtant très différents : les chargés numériques et la hiérarchie au sein de l'Éducation Nationale, souhaitant que les enseignants utilisent les solutions payées et pour lesquelles ils ont un interlocuteur, et les libristes* Les libristes sont les personnes attachés au mouvement libre, initié par Richard Stallman, prônant l’utilisation de logiciels libres, dont le code source est ouvert, les serveurs décentralisés, et non possédés par une entreprise privée : GNU/Linux, Signal, Mastodon… , ne concevant pas l’utilisation d’un outil privé pour l’enseignement des jeunes. Et au milieu de cela, les enseignants qui ne souhaitent qu’enseigner sans problèmes, malgré toutes les difficultés que causent ce confinement, et qui se retrouvent pris en étau… quitte à ne pas enseigner.
Un espoir cependant : malgré les injonctions contradictoires, le Ministère confirme que l’utilisation de Discord est possible, même s’il convient de recommander les outils mis à disposition par celui-ci. C’est ce que disait également le Ministre au Parisien il y a quelques jours.
Discord, RGPD ou pas ?
Sans condamnation ou avis de la CNIL ou d’une autre administration européenne de protection des libertés numériques, difficile d’avoir une certitude sur la légalité ou non d’un outil. Par présomption d’innonence, il serait facile de dire que Discord serait alors RGPD-compatible, sans grande certitude. Il serait également facilement de se contenter de la page de l’entreprise sur le sujet, où elle assure s'être alignée sur les règles européennes, partout dans le monde. Aussi est-il ici le meilleur moment pour préciser que je ne suis pas juriste ! Néanmoins, il est possible de répondre à quelques interrogations et affirmations lancées sans connaissances du sujet.
L’article mentionné plus haut fait mention d’un process logger, c’est-à-dire un enregistreur de processus, qui surveille tous les programmes que vous lancez sur votre ordinateur, une fois Discord lancé. Cela est vrai, uniquement si vous activez la fonctionnalité de détection de jeux vidéo, afin d’afficher l’overlay ou de montrer le jeu auquel vous jouez en ce moment — une des fonctionnalités initiales de Discord, qui ne sera pas utile pour les cours en ligne. Ces informations sont envoyées sur les serveurs Discord, mais détruites lors de leur réception, afin — selon Discord — que ce choix soit constant et lié au compte, et non à l’appareil.
Il fait surtout état, et c’est le point qui fait le plus débat, de la politique de confidentialité de l’application, qui affirme de manière explicite que l’application collecte IP, identifiant, adresse email, numéro de téléphone, pose des cookies sur l’ordinateur ou agrègent les comportements dans le but de vendre des études anonymisées sur les utilisateurs de Discord. Là encore, tout l’intérêt n’est pas de savoir s’ils collectent ces données, mais dans quel but, et si cela respecte les conditions du RGPD. Et il suffit de descendre un peu plus bas dans cette déclaration pour trouver les motifs, tous a priori valables d’après la loi européenne : « intérêts légitimes », respect de la loi, études anonymisées… À titre d’exemple, les cookies posés sur le PC peuvent être nécessaires pour se souvenir de la personne connectée. Discord est tout à fait en droit de collecter des informations si elles sont anonymisées…
Pour autant, tout n’est pas blanc dans le logiciel. Certains choix posent question à juste titre, et même s’ils peuvent être dans les intérêts légitimes, a fortiori dans le cadre des nouvelles lois contre le cyberharcèlement, ils emmènent à s’interroger. L’obligation de renseigner un numéro de téléphone si le compte est détecté comme provenant d’un VPN* Un VPN, pour réseau privé virtuel, est un système permettant de créer un lien entre deux ordinateurs distants, souvent pour se cacher derrière une autre adresse IP. en fait partie : la requête du numéro de téléphone peut se comprendre, son enregistrement beaucoup moins.
Il faudra néanmoins rappeler à tous les pseudo-juristes (dont je fais partie) que le RGPD est un règlement qui s’applique à toutes les entreprises, même américaines, du moment qu’elles traitent de données d’utilisateurs à l’intérieur de l’Union Européenne. Cela est même réaffirmé par Discord, de manière assez vague, dans sa politique de confidentialité :
« Peu importe ou l’endroit où vous habitez, vous consentez au traitement et au transfert de vos informations aux et vers les États-Unis et d’autres pays. Les lois des États-Unis et d’autres pays concernant le recueil et l’utilisation de données peuvent ne pas être aussi exhaustives et protectrices que celles en vigueur dans le pays dans lequel vous vivez. »
Ce n’est pas parce qu’une entreprise édicte dans ses CGU qu’elle est basée aux États-Unis que la loi s’arrête pour elle. Libre donc à chacun de saisir la CNIL pour se plaindre de Discord qui ne respecterait pas le RGPD…
Que Discord respecte ou non le jeu, c’est plutôt une autre interrogation qui devrait être maître dans les débats sur l’utilisation ou non de Discord : l'éthique. Peut-on contraindre un jeune, d’autant plus mineur, à s’inscrire sur un service d’une entreprise privée ? Là est toute la problématique de la « continuité pédagogique » des cours, et c’est là où Discord, Zoom et autres plateformes pèchent. En effet, et c’est là où les directions académiques du numérique ont juste, un enseignant ne peut prescrire l’inscription sur une plateforme privée, le consentement n'étant pas libre. La problématique est néanmoins la même sur les autres services, WhatsApp, Telegram… mais pas CNED, qui ne nécessite pas d’authentification. Dans le même temps, comment faire cours si les élèves n’ont pas à s’identifier ? Twitter regorge de cas d’enseignants dont le cours a été perturbé par des jeunes, externes à la classe, s'étant dégotés le lien de connexion. L’enseignant peut bannir le jeune, mais il reviendra aussitôt, et le cours sera gâché par cette énergumène. On parle ci et là de passer un temps avec chaque élève, pour l’authentifier et le faire entrer dans un salon privé… une horreur en terme d’organisation !
Enfin, il est très important de rappeler que Discord, Telegram, WhatsApp et autres compagnies n’acceptent que les personnes agées de 13 ans et plus, par respect pour les différentes lois en vigueur, en particulier la COPPA américaine. De plus, la France a fixé l'âge du consentement éclairé pour l’inscription sur des plateformes numériques à 15 ans : ainsi, des lycéens peuvent librement consentir à s’inscrire sur Discord ; pour les collégiens, il faudra l’accord du parent.
Quelle solution alors ? Certains diront à juste titre que ne rien faire est le meilleur moyen pour ne pas être embêtés par des trolls ou la hiérarchie. Les outils comme Pronote ou les ENT peuvent terriblement suffire, mais c’est laisser les élèves à leur triste sort.
Que cela passe par Discord, Jitsy ou Ma classe à la maison, l'élève est en droit de ne pas pouvoir ou vouloir accéder aux outils numériques qui sont à sa disposition. C’est pourquoi le plus important à mon sens est, pour l’enseignant, de multiplier les canaux de communication. Si toute la classe est ou peut être sur Discord, pourquoi refuser un tel outil ? À part pour des positions dogmatiques, il n’y a pas de raison légitime d’interdire purement et simplement un tel outil ; qui plus est si, comme souvent, le serveur a été fondé par les jeunes. Néanmoins, si certains ne peuvent ou ne veulent pas joindre, il convient de les informer également de la suite du cours, de leur proposer des alternatives ou de l’accompagner. L’important ici est que l’information arrive au parent ou à l'élève, pas que cela passe par un outil américain !
L’utilisation dans notre groupe
Passons ces tribulations juridiques, pour retourner à ma situation en quarantaine. Comme dit dans le précédent épisode La fac, mais sans la fac Journal de quarantaine : première semaine. La France se confine, mais la vie suit son cours. Difficile pourtant de continuer à étudier dans ces conditions… , nous nous sommes très vite sur un serveur Discord commun aux étudiants du groupe de TD, créé par un de ses membres qui a ensuite partagé le lien sur la conversation Messenger de groupe. J’ai fini par prendre le pouvoir, et après avoir fignolé les salons et les permissions, nous avons envoyé par mail à l’ensemble des étudiants du groupe le lien d’invitation pour accéder à celui-ci, ainsi qu’aux enseignants de TD que nous avons. La majorité d’entre eux est venue directement, n’ayant pas encore défini comment ces derniers souhaitaient faire cours avec nous. Deux responsables de matière avaient initié un forum de discussion sur la plateforme universitaire Moodle, mais avoir un TD avec des discussions asynchrones semblait tout de même assez laborieux. Une autre chargée de TD souhaitait utiliser le logiciel Zoom, pour retransmettre un tableau blanc, mais devant le fait accompli et surtout les difficultés de configuration du logiciel, celle-ci a fini par rejoindre notre serveur. Enfin, une dernière hésitait à rejoindre celui-ci, pour des raisons de légalité du processus, mais étant donné que nous étions quasiment tous dessus et que ce serveur était de notre rechef, elle s’est finalement jointe à nous.
La configuration du serveur est disponible en bas de la page.
Depuis la dernière fois, tous nos chargés de TD sont donc passés sur Discord, et font classe depuis. Nous avons volontairement gardé et affiché le même emploi du temps qu’avant la fermeture de l’Université, à quelques changements horaires près due au fait que certains rapatriés ont du décalage horaire. C’est ainsi que nous nous retrouvons six fois par semaine avec nos enseignants pour faire TD dans des conditions plus ou moins normales.
Plus ou moins, car — comme dit dans le précédent épisode — il est naturellement plus difficile de se concentrer avec des explications orales, ou des bribes de formules écrites en LaTeX* LaTeX est un langage de formalisation mathématiques, et un système de compilation de ce langage à un document respectant la syntaxe mathématique. Pour écrire en LaTeX sur votre ordinateur, vous devez posséder un éditeur (j’utilise Texmaker) et un interpréteur / compileur (MikTeX par exemple). , que par un tableau où il est plus rapide de formaliser sa pensée. Surtout, la gestion de la parole n’est pas la même : la plupart du temps, l’enseignant parle et les étudiants désactivent leur micro, ce qui donne parfois des moments de blancs, personne ne voulant être le premier pour répondre, ou des moments d’incompréhension, lorsque plusieurs personnes parlent, puis se taisent car l’autre parle, avant de se remettre à parler simultanément… Comme en TD, des étudiants seront trop timides pour poser une question, qui plus est si cela coupe le fil de la discussion ; ce phénomène est même accentué par le fait que l’enseignant ne voit pas les étudiants, donc ses réactions. Et la vidéo ?Discord ne permet pas de faire des conversations vidéos avec plus de 10 personnes, ce qui dans tous les cas serait ingérable pour de nombreuses personnes, les étudiants étant souvent rentrés dans leur campagne…
La gestion-même des exercices en TD évolue, pour que chacun puisse prendre son temps pour les faire. Auparavant, les exercices étaient corrigés sur le tas, l’un après l’autre, durant les créneaux de TD. Depuis, ce créneau vocal sert à aider les étudiants à faire les exercices demandés, qu’ils auraient regardés préalablement. La correction quant à elle viendra quelques jours plus tard, écrites par l’enseignant·e en LaTeX et disponible dans un fichier PDF, pour laisser à chacun la disponibilité asynchrone du document. Si des questions ultérieures il y a, les étudiants pourront toujours la poser au cours suivant, ou sur les salons textuels, où étudiants s’entraident et enseignants piquent une tête plusieurs fois dans la semaine.
C’est l’un des grands avantages (quoiqu’il est difficile de profiter de cette période) de ce confinement et de l’utilisation d’un serveur Discord : les étudiants du groupe de TD — ou du moins, la partie active en ligne — se sont soudés et s’entraident considérablement plus qu’auparavant. L’isolement aidant, beaucoup regardent les messages régulièrement, répondent aux sujets de discussion du jour et aident ou posent des questions dans le besoin. L’ambiance n’est en effet pas tout à fait la même que sur la conversation Messenger de classe, où un fil unique existait et où, souvent, une discussion un peu pointue remplissait les notifications des autres. Certes, cela sera je pense difficilement répliquable dans l'Éducation Nationale, et cela ne remplace pas des cours magistraux, mais ce semblant de fraternité entre étudiants fait du bien au milieu de cette guerre invisible.
Tout ne tourne pas autour de Discord
L’autre avantage, quelque peu spécifique à notre groupe, est que ce serveur réussit à centraliser tous les TD, feuilles, fichiers PDF… sur une seule plateforme. Là où les autres groupes subissent un éparpillement des enseignements entre discussion en direct sur Moodle, visioconférence sur Zoom et simple échange de mails, nous avons cette chance de savoir où se situe tel TD, et d'éviter de perdre les étudiants à travers dix plateformes.
Néanmoins, cette chance ne doit pas faire oublier un point, déjà évoqué plus haut dans mes pérégrinations juridiques : la liberté de chacun de pouvoir se passer des outils numériques non officiels. Dans notre groupe de TD, sept étudiants manquent actuellement au serveur, quand bien même le lien d’invitation de celui-ci est mentionné par tous les enseignants par email. Innumérisme ? Absence de connexion ou d'équipement décent ? Décrochage dû au confinement ? Ou volonté de ne pas rejoindre un service non-officiel ? Je n’en connais pas la raison, mais ce n’est pas un motif pour les oublier. Ainsi, chaque enseignant n’oublie pas d’envoyer les feuilles, exercices et leurs corrections par mail également à la liste de diffusion du groupe, et ils répondent aux questions posées par email, même des étudiants présents sur le serveur. L’enjeu est double : éviter d'être dépendant de la plateforme (en cas de perturbation, par exemple) et ne pas délaisser des étudiants qui ne seraient pas dessus.
De toute façon, cette vision centrée autour de Discord ne tient pas pour les cours, où les maîtres de conférence avancent… divisés. L’un fait des vidéos où il écrit le cours sur papier avec des explications (ce qui est très agréable, mais pas très accessible numériquement parlant), un second envoie son polycopié, chapitre par chapitre, écrit en LaTeX, tandis qu’un autre… nous envoie des feuilles manuscrites scannées, sans plus d’explications.Rebelote pour les matières transverses, non mathématiques : un enseignant nous contraint à faire cours par un appel vidéo commun sur… Skype [sic], tandis qu’un autre utilise la fonctionnalité de tchat en ligne de Moodle pour copier-coller, ligne par ligne, son verbatim, en disant aux étudiants lorsqu’ils doivent changer de page sur une présentation hébergée sur son site. Rébarbatif au possible.
En informatique, où les responsables de la mention ont conçu un serveur Discord par promotion (!), des enseignants de TD font cours de programmation via la fonctionnalité Go Live du logiciel, qui permet de diffuser le contenu de son écran à cinquante personnes dans le salon. Les cours, quant à eux, tiennent encore via des exercices automatiques sur la plateforme Moodle de l’Université de Bordeaux, ou des présentations interactives réalisées avec Jupyter, un petit utilitaire bien sympathique, et hébergées sur les serveurs du laboratoire de recherche.
Discord a au moins l’avantage de permettre aux étudiants de se retrouver, et d’avoir des similis de cours, ce qui reste tout de même beaucoup plus pédagogique que de simples fichiers PDF envoyés par email. Cela devrait être, à mon sens, le mot d’ordre de l’utilisation de tel ou tel utilitaire, et c’est la même vision qu’a mon responsable de licence :
« Certes, c’est très intrusif… mais on n’a pas trouvé mieux. »
Oui, il existe probablement des alternatives libres, décentralisées, sans risque potentiel de revente de données : je pense intuitivement à Mattermost, un équivalent à Slack, où des plugins permettent d’ajouter la possibilité de faire des appels vocaux et vidéos. Toutefois, il faut se résoudre à une évidence : quel service était disponible et déployable aisément en cette période de confinement ? Ma classe à la maison a eu des soucis qui ont poussé des enseignants à faire avec ce que des élèves leur proposait : Discord est accessible à toutes et à tous, a une interface intuitive, n’est clairement pas aussi intrusif que beaucoup le disent, et surtout : il marche. Les élèves en sont contents car beaucoup connaissaient déjà la plateforme ; les enseignants l’utilisant également car il est plus souple que d’autres équivalents, et était disponible dès le départ. Gageons que si l'Éducation Nationale avait développé un équivalent, ou si les régions avaient déployé des instances de Mattermost à l’intuitivité similaire à Discord, ils auraient été conservés. En attendant, faisons avec ce que l’on a, et laissons le choix aux élèves et aux enseignants, au lieu de se résigner à utiliser un outil privé non fonctionnel ou non adapté aux besoins ! Élèves et étudiants ne vous diront que merci.
Comment notre serveur a été configuré
Addendum technique à cet article, qui pourra intéresser plus d’un enseignant ou étudiant. La configuration basique du serveur Discord de notre groupe est la suivante :
- dix salons textuels, dont :
- deux d’annonces, où seuls les administrateurs (ie. le créateur du serveur et moi) peuvent communiquer ;
- un de discussion générale, ouvert à tous ;
- quatre salons, un par matière, qui ne sont accessibles que pour les étudiants gradés comme tels, et l’enseignant de la matière ;
- un salon pour que les personnes en discussion vocale puissent écrire sans gêner les autres discussions ;
- un salon pour l’utilisation des bots Discord ;
- un salon privé, réservé aux étudiants, mais ça, ce n’est que pour les serveurs créés par les étudiants…!
- cinq salon vocaux, accessibles aux personnes ayant un grade. Ils ne sont pas spécifiques aux matières (cela n’aurait aucun sens), mais leur nombre permet de séparer les étudiants en différents groupes de travail, durant les TD notamment ;
- trois grades :
- “Étudiant”, attribué aux personnes dont on connaît l’identité, qui sont par ailleurs ensuite renommées avec leur prénom ;
- “Enseignant”, pour séparer les étudiants d’eux dans la liste des membres. L’accès d’un enseignant au salon spécifique à sa matière est quant à lui géré directement au niveau des permissions du salon, nommément, sans passer par un rôle ;
- “Modération”, pour… moi (donne accès à la permission ‘Administration’, qui est très puissante, à ne confier qu’avec parcimonie!).
- deux robots externes :
- TeXit, un robot permettant de transformer des messages écrits en LaTeX (entre des
$
) en images. Il a l’avantage de posséder également des commandes de modération, comme la purge de messages, ou de pouvoir afficher des embed, qui sont des messages spécifiques permettant d’utiliser des liens ; - Rythm, un robot de diffusion de musique prises sur YouTube, pour que les étudiants puissent travailler en musique.
- TeXit, un robot permettant de transformer des messages écrits en LaTeX (entre des
La maintenance de ce serveur et des messages d’annonce est assurée par moi-même. Il est en effet essentiel qu’une personne soit souvent sur le serveur, pour éviter des problèmes, ou ici pour centraliser toutes les informations sur la plateforme, ce qui est intéressant pour les autres étudiants !