La fac est multiculturelle

Tu seras bizut, mon fils.

Histoire de mon week-end d'intégration

Après trois semaines à la fac, les langues ont commencé à se délier Image d'illustration La fac est multiculturelle Arriver à la fac, c’est réaliser que l’Université est le lieu des savoirs… mais aussi des rencontres. Des étudiants de toutes les cultures. , les visages à sourire, et un brin d’esprit d’équipe s’est installé dans le groupe, essentiellement grâce à un exercice banal d’une professeure d’anglais qui nous avait demandé de nous caractériser. Depuis, dix jours sont passés, et surtout déjà une centaine d’heures de cours depuis la rentrée. En cent heures, les étudiants du groupe de TD ont pris leurs repères, parlent plus librement qu’à la rentrée… et cela se sent.

Toutefois, il manquait quelque chose pour que l’on soit bien à la fac. Un événement que personne, je pense, dans la classe n’attendait, et que personne ne veut attendre : le fameux « week-end d’intégration » propre aux études supérieures.

Il faut dire que j’avais complètement oublié cette partie-là des études supérieures. Dans mes pensées, les week-ends d’intégration ne se faisaient que dans les écoles de commerce et autres études avec un fort « esprit de promo », où les galères d’études dures font se rassembler les étudiants, pour survivre à une épreuve. Dans ces études, longues ou compliquées, il y a alors un fort rapport entre étudiants de différents niveaux, car en petits comités ayant tous subis les mêmes problèmes.

Je ne pensais alors pas un seul instant qu’il y en aurait également dans des promotions plus générales, surtout avec le système de portails de l’Université de Bordeaux*. À l’Université de Bordeaux, la licence de Sciences et Technologies commence presque obligatoirement par un semestre dans un « portail », un mélange de matières pour pouvoir in fine se réorienter, peu importe ce que l’on a précisé sur Parcoursup. Ils sont au nombre de deux : MISIPCG [Mathématiques, Informatique, Sciences pour l’Ingénieur, Physique, Chimie, Géosciences] et SVSTC [Sciences de la Vie, Sciences de la Terre, Chimie]. À cela s’ajoute la licence MIASHS [Mathématiques et Informatique Appliquées Aux Sciences Humaines et Sociales], qui ne passe pas par un portail.

Et c’est en effet le cas. Pas de soirée d’intégration pour les 800 néo-bacheliers et réorientés du premier semestre, car la promo est trop grande, pas assez spécialisée. Enfin, pas pour tous.

Malheureusement, j’avais oublié que je suis en « parcours international », une option sélective, avec une soixantaine de personnes chaque année. Ce qui, forcément, augmente la cohésion entre les nouveaux et les étudiants en deuxième année, qui sont passés par là l’an dernier… et permet d’organiser un week-end d’intégration.

Un formulaire donné par les L2.

Un formulaire donné par les L2.

Me voilà donc convié à un samedi de folie, en cette fin de mois de septembre, dont on ne sait rien si ce n’est le rendez-vous, près de Bordeaux.

Craintes

Dès l’annonce du week-end d’intégration, durant une réunion de présentation du Parcours international, justement, quelques-uns avaient fait la moue, mais beaucoup pensaient venir. La plupart des étudiants de mon groupe ont ainsi payé les 5€ demandés par les L2* pour l’organisation de la journée, sans broncher. À la fac, les étudiants ont pour étiquette leur année de mention, composée de l’initiale du diplôme (L, M, ou D) suivi de l’année d’étude en cours. Ainsi, le terme « L2 » désigne à la fois la seconde année de licence, et les étudiants y étant.

Mais, au fur et à mesure des jours passants, certains se sont montrés plus… craintifs, plus hésitants pour y aller, malgré la cotisation avancée. Un dit qu’il passera le week-end « chez lui », un autre fatigué, pour éviter d’aller à une journée dont on ne connait pas le programme.

De quoi ont-ils peur ? Bien du week-end en lui-même. Dans l’imaginaire collectif, « week-end d’intégration » est associé à alcool, soirée & bizutage. On pense au film Grave, qui raconte le bizutage d’une végane en école de vétérinaire ; aux images des bizuts des années 80 ; à cette tradition qui se perpétue, comme une vengeance de ceux qu’ont dû subir les bizuteurs l’année précédente. Quand bien même le bizutage est légalement interdit depuis une vingtaine d’années, il reste encore légion dans la quasi-majorité des écoles de France. Quelques-unes de ces dernières les ont officiellement interdites, mais cela reste de niche, ou peu efficace, car les manifestations interdites se font ensuite sans un œil de la fac, ce que veulent éviter bon nombre d’établissements, qui jouent gros en terme d’images notamment. Alors, chaque année et malgré la loi, des centaines de week-ends ou de journées d’intégration ont lieu dans de très nombreuses études. Les Ministères qui se succèdent lancent des campagnes pour tenter d’éliminer ces pratiques. Mais chaque année, les médias font écho de ces journées qui ont mal tourné, de témoignages, et, malheureusement parfois, de morts. En septembre, a été médiatisé le bizutage d’étudiants au CHU de Toulouse, scotchés entre eux et soumis à diverses projections. Après cette affaire, ont été remédiatisées celle du bizutage de Caen, l’an dernier, où des étudiantes avaient été conviées à tourner des scènes X, puis la mort d’un étudiant, en octobre 2017, après un week-end d’intégration trop arrosé.

Alors, des craintes se font entendre durant les intercours, dans le groupe d’étudiants en parcours international. Beaucoup hésitent à y aller.
Quelques jours avant le jour-dit, ces craintes se feront plus fortes, à la suite d’échos de la journée d’intégration de certains étudiants d’un autre département de l’Université, ayant eu lieu deux jours plus tôt, où tout le monde aurait dû se dénuder… entièrement. Suite à cet écho, la motivation disparaît. Nombreux sont ceux qui n’iront “peut-être” pas.

Réalité

C’est ainsi que ce samedi, nous ne sommes qu’une trentaine de L1 à être là pour le briefing de début d’après-midi, soit une petite moitié d’absents. Et là, point de rencontre dans un parc pour nous faire ligoter, comme j’avais pu le voir début septembre… mais un jeu de piste dans Bordeaux, durant tout l’après-midi. But de l’opération : nous faire découvrir la ville. Pour cela, chaque équipe doit récolter le maximum d’autocollants pour décorer… un œuf, à ne surtout pas éclater durant les cinq heures de jeux. Ces autocollants sont alors à gagner sur des stands défis, à trouver via des énigmes à la Père Fouras, qui font indiquer les places où se trouvent ces jeux.

Durant le briefing de préparation, chacun se sent alors soulagé, de ne pas voir de bizutage, de plus ou moins découvrir qui sera son parrain ou sa marraine. Puis vient l’ambiance du jeu, qui apporte détente et concentration, auquel tout le monde se laisse prendre (surtout moi). Fada de jeux de pistes, on ne peut rêver mieux.

Pendant plusieurs heures, en cette après-midi chaude de fin septembre, les étudiants se laissent prendre au jeu de piste, aux stands, aux questions et à la quête de celui qui a le plus d’autocollants, de bracelets, de photos pour le safari. On discute entre étudiants dans le groupe, on apprécie avec plus ou moins d’amertume les questions des L2, et on accepte, parfois, de relever leurs défis à la con, comme câliner un inconnu, trouver un Breton dans Bordeaux, se faire maquiller à l’envers, ou manger du saucisson (non, pas quand même).

Une étudiante enlace une inconnue près d'un arrêt de tramway bordelais.

Je prends mon pied quand je découvre que le premier stand où nous devons aller… est un Burger Quiz (du nom de l’émission éponyme d’Alain Chabat). Je rafle tous les bracelets, en gagnant le Grand Burger De La Mort — merci l’émission :D
Plus tard, avec mes confrères “bizuts”, on exerce nos talents de joueurs de pétanque, en gagnant 8 à 4 dans un jeu en 6 points gagnants. Puis on perd honteusement un quiz international, acceptant malgré nous les défis des perdants, danser avec un passant sur la Place de la Bourse, ou uriner dans la Garonne.

Quand le soleil s’approche de son crépuscule, les étudiants se regroupent dans un square, et au diable la quête des autocollants, bracelets, et photos du safari. Tous les gens se retrouvent et sourient, en découvrant le visage des autres — certains plus ou moins défigurés par les coups de pinceaux de leur équipe au stand maquillage. Parrains et filleuls se voient pour la première fois, s’échangent les numéros, des conseils.

Plus tard, direction le bar, réservé pour la soirée, afin de continuer dans cette ambiance bon enfant. Les L2 avaient déjà commandé le repas pour tout le monde (pizzas, entrées végétariennes, seaux de pop-corn) ; j’apporterai durant la soirée les desserts faits maison (de quoi gagner en popularité, héhé). Et chacun discute, fume, boit s’il le veut, mange encore s’il le peut, sans contrainte aucune. Des groupes sociaux, que j’appellerai amitiés, se forment. Ici, on cause mangas et animes ; là, on parle musiques et pays, autour de tomates cerises. On râle tous en chœur contre la panne de tramway, à une heure du matin. Et on réfléchit ensemble, à deux heures, comment raccompagner les gens un peu éméchés chez eux.


En fin de compte, cette journée d’intégration n’avait rien du bizutage auquel je pouvais penser. J’ai pourtant hésité à venir, par crainte de débordements, par volonté de ne pas boire, par peur de me retrouver ligoté dans Bordeaux. Nenni. À la place, j’ai profité de belles activités, qui certes n’ont pas de rapport avec une éventuelle « intégration », si ce n’est une intégration à la ville qu’est Bordeaux, mais restent mémorables — et ce, sans contraindre des nouveaux à faire le pire. Alors, oui, il y avait quelques défis, quelques activités dont on se serait passé, mais que des broutilles, où les seules choses qui en ont vu de toutes les couleurs sont les tee-shirts, peints à vie. L2 et L1 ont fait leur devoir de bizuteurs et de bizuts, et tous ont profité, sans qu’il y ait eu de blessés. Quand les week-ends d’inté sont bien organisés, il n’y a ainsi pas besoin d’alcool à flot pour s’intégrer, pour partager des bons moments. En tout cas, pour se forger des souvenirs.

L’œuf de notre équipe, décoré des autocollants gagnés lors de cette journée. Et cassé, pour faire les gâteaux de la soirée :D

L’œuf de notre équipe, décoré des autocollants gagnés lors de cette journée. Et cassé, pour faire les gâteaux de la soirée :D

Photographie d'Adrien
AdrienTwitter
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Ça se vide.