Ne pas être à sa place

La fac est multiculturelle

ou la réalisation de la diversité des personnes à l'université

Depuis la première semaine de rentrée, contée précédemment Image d'illustration Ne pas être à sa place Problèmes d’emploi du temps, groupes de classe qui volent, profs qui changent entre deux cours : la première semaine à la fac fait douter. , les choses ont évolué, aussi bien du côté des profs que de la cohésion de classe. Côté enseignements, les soucis d’emploi du temps ont été — en partie — résolus, et chacun a désormais un emploi du temps plus ou moins définitif pour les trois mois à venir. Un « ordre » a été établi entre les professeurs de mathématiques italiens, qui pour rappel sont deux à nous faire des cours de mathématiques françaises, théoriquement en anglais, mais en pratique dans un mélange franco-anglo-latino-italien croquignolesque, à notre grande surprise. Finalement, ce sera… un prof en alternance à chaque chapitre, même si pour ce deuxième chapitre on va quand même garder l’alternance par journée…
De nouveaux cours s’installent également, à l’instar d’une mineure « Entrepreneuriat » dont je me serais bien passé, ou encore de l’anglais, avec une enseignante très guillerette. C’est d’ailleurs cette dernière qui a dégelé l’ambiance dans le groupe de classe, qui en une semaine était restée morne. Après une première semaine de cours, presque personne ne se parle entre « groupes sociaux de classe » (si telle est l’expression), personne ne connaît le prénoms des autres… et ce n’est pas ce lundi matin qui pourrait me faire dire le contraire.

De tous les horizons

C’était sans compter sur un simple exercice d’oral en anglais, qui a permis à chacun d’en apprendre un peu plus sur la classe. Sans concertation, et en guise de premier cours, la professeure d’anglais nous a tout simplement incités… à réciter des propriétés propres à chacun. Par binôme, chacun doit raconter plusieurs caractéristiques de son voisin, qui pourraient représenter la personne dans la classe. Des fun facts légers, mais qui aident à la mémorisation, pour la prof comme pour nous, des élèves dans la classe. Chacun va alors de son histoire, de la grande appréciation des mangas au semi-végétarisme de la personne (oui, c’est moi !).
Ensemble, ce petit exercice de découverte des élèves pour l’enseignante a également permis à la classe de se découvrir, de se parler, après une semaine de mutisme et de timidité. Dès le lendemain, la classe se parlait plus, ou du moins entre affinités.
Mais c’est surtout à ce moment que je me rends compte de la diversité d’origine des jeunes de ma classe : un élève vient de la réunion Image d'illustration « Génération Test » La précédente saison de mon épopée : la vie de lycéens en Terminale à l’aube de Parcoursup. , un autre de l’Espagne Catalogne, ou encore un, aussi arrivé en dernière minute, du Costa Rica… Une élève a des origines sénégalaises, mais elle n’est pas la seule à avoir de la famille proche en Afrique, à l’instar de cette fille au prénom malgache presque toujours massacré depuis la rentrée. Dans la classe également, plusieurs personnes aux prénoms aux sonorités orientales, dont une jeune fille voilée, quelque chose que l’on ne voit pas dans l’enseignement secondaire, car interdit en France depuis 2004.

L’enseignement supérieur n’est plus l’école, et est à ce sens un point marquant de l’indépendance, culturelle mais aussi cultuelle, des jeunes. Les élèves ne sont plus élèves, mais bien étudiants, et pour l’écrasante majorité d’entre eux, adultes. Même si beaucoup vivent encore grâce à la participation financière de leurs parents, ces jeunes peuvent voter, acheter, et sont désormais intégralement responsables de leurs actes. Alors, les profils se dégagent.
La grandeur de l’université aide aussi à ce multiculturalisme. Des milliers de jeunes se rassemblent, dans un campus, autour du savoir, qu’ils ont plus ou moins choisi. Exit les collèges et lycées à la mixité scolaire variable, où les élèves apprennent dans des classes identiques, avec les mêmes programmes, et peu de capacité d’individualisation, peu d’activités culturelles qui permettent à chacun de se remarquer. C’est paradoxalement dans l’enseignement de masse, à l’université, que se distinguent les personnes, que se mélangent les genres et les cultures, et que l’on découvre en quelque sorte un métissage sociétal.

Des étudiants parlent, devant le bâtiment A22 de l’université de Bordeaux, en ce début de soirée de début octobre.

Des étudiants parlent, devant le bâtiment A22 de l’université de Bordeaux, en ce début de soirée de début octobre.

Un autre exemple de ce méli-mélo d’identités est la multiplicité des langues parlées à la fac. Dans le département licence de l’université de Bordeaux, les cours sont évidemment en grande majorité français. Mais, inscrit en Parcours International, j’ai certains cours (de mathématiques, notamment) en anglais, avec un peu de latin en bonus. Le Catalan de ma classe suit des cours d’allemand, à l’unité Langues & Communication du campus. Une autre étudiante de mon groupe de TD apprend le japonais à l’université Bordeaux-Montaigne*. Jusqu’en 2013, Bordeaux était composé de quatre universités, Bordeaux-I (sciences & technologies), Bordeaux-II (santé), Bordeaux-III (lettres), Bordeaux-IV (droit et sciences politiques et économiques). Le 1er janvier 2014, Bordeaux-I, II et IV ont fusionné en « Université de Bordeaux », afin de devenir une unique entité, pouvant ainsi rayonner à l’international. L’université Bordeaux-III, devenue Bordeaux-Montaigne, s’est retirée du projet avant sa finalisation, par crainte d’un déséquilibre financier entre universités.

Mais c’est en dehors des cours que l’on se rend le plus compte de cette effervescence de langages. Dans les couloirs ou à la cafétéria, on entend ainsi des étudiants parler entre locuteurs de leur langue première, comme ces Italiens qui parlent entre eux. Durant les pauses en TD, le Catalan parle en espagnol avec le Costaricain ; d’autres parlent arabes entre eux. Et, en ces soirs d’automne, à l’heure où le soleil s’endort, volent les mots en langue de pays du Commonwealth ou d’Asie.

Quand on a vécu pendant des années dans des établissements scolaires de campagne, où les seules langues parlées sont les quelques disponibles au collège (à savoir : anglais, allemand, espagnol), découvrir, ou du moins, entendre aussi souvent ces langues ne peut laisser indifférent. Cela rajoute un peu à la mystification de la fac — ou de la Ville en général, que sais-je ? — , cet endroit de découvertes et de cultures.

De tous les types

L’université, ce n’est pas qu’un lieu de cours. Je l’avais déjà assez bien intégré, avant même d’entrer la porte de mon premier amphi, lorsque j’avais vu ces couloirs plein d’associations lors des portes ouvertes de la fac, en janvier dernier. Je l’avais aussi intégré, lorsque j’avais vu ces images d’assemblées générales en amphi, certes de syndicats ou d’associations politiques, mais qui révélaient la diversité des opinions et la liberté des personnes à la faculté.

Ce n’est ainsi pas avec une grande surprise que j’ai découvert la pléthore d’associations disponibles à la partie sciences de l’Université de Bordeaux. La plupart sont certes scientifiques, voire spécialisées dans une filière, à l’instar des M-TECH (pour les matheux), Label[i] (pour les informaticiens) ou autre CPBX. Mais on trouve également d’autres associations, dites « transversales », qui s’ouvrent volontiers à tout le monde, et proposent des activités sortant du strict cadre universitaire, comme l’association d’astronomie, l’UNEF (syndicat étudiant…), ou encore La Guilde du Dé Libéré, une association proposant des jeux et des animations ludiques sur le campus.

Deux semaines après la rentrée, tout ce beau monde était réuni sur l’esplanade du collège Sciences et Technologies, pour un « forum des assos », dans le cadre de l’opération « Bordeaux fête la rentrée ! », une sorte de semaine d’accueil pour les nouveaux étudiants fraîchement arrivés à Bordeaux. Avec pour but premier, de se faire découvrir.

Devant le bâtiment A22 de l’Université de Bordeaux, des étudiants découvrent diverses associations, et se prêtent à des animations organisées par celles-ci.

Devant le bâtiment A22 de l’Université de Bordeaux, des étudiants découvrent diverses associations, et se prêtent à des animations organisées par celles-ci.

Alors que les feuilles des arbres commencent à peine à tomber, et que le soleil tape encore [pas sur la photo, je l’accorde, ndlr], des dizaines d’étudiants longent les stands, s’arrêtent sur quelques un, notamment là où il y a un peu de nourriture, ou des expériences interactives. Certains s’arrêtent à une association d’aéronautique, où est présentée une maquette de deux mètres d’une fusée, construite l’an passée. D’autres, comme moi, vont vers le stand de l’association de jeu susnommée, fascinés par la collection de jeux présentes sur la table, et les affichages quelques peu originales. Deux membres d’un énième stand s’embrouillent, sur la signification du logo nouvellement créé par l’un.

Ce mélange de réalisations amateurs, parfois au rendu professionnel, émerveillent quelques personnes de mon “groupe social”, avec qui je mangeais ce midi. Deux personnes veulent rejoindre la Guilde du Dé Libéré. Je me suis renseigné pour la réunion d’adhésion à l’association d’astronomie. Et je remarque l’importance de ce tissu associatif dans notre campus, qui couvre des filières à la culture.

Dans le « foyer » près des locaux des associations, de nombreuses affiches, publicitaires ou événementielles, colorent ce mur à destination des étudiants.

Dans le « foyer » près des locaux des associations, de nombreuses affiches, publicitaires ou événementielles, colorent ce mur à destination des étudiants.

De tous les genres

Pour conclure ce mois de septembre, le CROUS organisait, avec diverses associations, dont les Osbiviales (voir ci-dessus), le festival Campulsations, « festival de rentrée » des étudiants d’après la communication officielle. Onze journées d’animations dans les villes étudiantes aquitaines, dont Bordeaux, avec en point d’orgue trois jours de concerts gratuits ou à prix libre. Cet événement, organisé depuis une dizaine d’années par une pléiade de partenaires, d’assos étudiantes et d’institutions bordelaises, est l’occasion pour de nombreux jeunes de sortir, parfois pour la première fois depuis la rentrée, de l’ambiance fac qui règne encore, timidement, dans les TD.

Là encore, je découvre avec émerveillement les divers genres musicaux proposés durant ce festival étudiant. Du jazz en introduction, suivi de hip hop, de Danakil, un groupe de reggae que je ne connaissais absolument pas — mais j’avais l’air d’être le seul — et de l’électro proposé par le groupe French Fuse, français comme son nom l’indique. Mais aussi les autres jours, du punk, du rap ou du swing. Ce n’est qu’un festival, mais à mes yeux, nouvel étudiant arrivant sur Bordeaux, c’est déjà beaucoup.

Le groupe de reggae Danakil, devant son public, lors du festival Campulsations, à Pessac (Gironde).

Le groupe de reggae Danakil, devant son public, lors du festival Campulsations, à Pessac (Gironde).

Des mains qui volent, des jeunes qui chantent, des yeux qui brillent. Les boissons qui coulent à flot, également, alors que l’université est juste derrière la haie, et que certains peuvent même apprécier le spectacle depuis leur résidence étudiante. Mais cela ne gêne personne : après tout, loin est la vie scolaire, les problèmes de mineurs, la gestion des parents. La fac, c’est autre chose.

Plus tard dans le courant d’octobre, j’irai également à une animation Bordeaux accueille ses étudiants, organisée par la mairie de Bordeaux, et qui est un énième moyen de découvrir la grandeur de la Ville, la diversité des activités proposées, qui forcément change des quelques animations annuelles des villages de campagne. Là, certes, on ne fait que marcher et faire le touriste… mais aussi, on discute entre néo-étudiants de divers campus, tout en prenant des photos (c’est moi) ou en achetant des aubergines au marché des Capucins (c’est moi aussi). Et même si la pluie vient quoique légèrement gâcher la fin de journée, j’apprécie de découvrir d’autres genres musicaux, comme ce duo à l’opéra national de Bordeaux, ou ce groupe jouant durant notre repas au restaurant universitaire.

Un groupe en concert dans un restaurant universitaire.
La mairie de Bordeaux, à moitié remplie d'étudiants.

Un groupe de musique dans un restaurant universitaire, et des étudiants devant l’hôtel de ville de Bordeaux, lors de “Bordeaux accueille ses étudiants”.

Le mois de septembre est à peine terminé, et j’ai eu en quelques semaines un avant-goût, un panorama du multiculturalisme de la vie estudiantine. Des langues, des associations, des soirées. De tout type. Le tout mélangé par et pour des jeunes qui vont passer leurs prochaines semaines, leurs prochains mois, leurs prochaines années, qui sait, sur un campus, dans une ville, autour de personnes venues de tous horizons, de France et de Navarre, des Amériques à l’Asie, réunies initialement autour du partage de connaissances. C’est ça, probablement, être étudiant.

Photographie d'Adrien
AdrienTwitter
Amateur.
Tu seras bizut, mon fils.