Tu seras bizut, mon fils.

Ça se vide.

Rentrée en L1, un mois après

Plus d’un mois est passé depuis la rentrée. Désormais, les têtes sont familières, les prénoms plus ou moins connus, et chacun avance, tête baissée, en prévision des premiers partiels qui arrivent à la rentrée, durant la première semaine de novembre. Après le week-end d’intégration Image d'illustration Tu seras bizut, mon fils. Je ne pensais pas à avoir à subir un week-end d’intégration à la fac. J’ai été agréablement surpris. , les membres du groupe de TD auquel j’appartiens se sont clairement plus affirmés, et sont ainsi organisées les premières soirées étudiantes, dont je ne fais pas parti, mais qui se ressentent sur les visages des étudiants le vendredi matin, lendemain des soirées qui ont lieu communément le jeudi soir, dernier soir à la fac de la semaine pour les chanceux qui rentrent chez eux le week-end.

Seulement… il manque du monde. La fac compte déjà ses premiers disparus.

Comme un lundi

Le département de l’Université de Bordeaux auquel j’appartiens a fait le choix (judicieux?) de tout miser sur les néo-étudiants, pour éviter de les désorienter dans ce semestre si difficile qu’est le premier semestre, transition entre le lycée et la fac. Les moyens (humains et financiers) ont été accordés à la mise en place de nombreuses heures en TD, des groupes d’une quarantaine d’élèves dans une salle de classe, comme au lycée, pour éviter une masse de cours en amphithéâtre qui les perdraient. C’est ainsi que, dans ce premier semestre à la fac, je n’ai en amphi que le cours de chimie, d’une heure vingt par semaine, où un petit quart de la promotion (ou du moins, des élèves ayant rejoint le portail* est réuni. À l’Université de Bordeaux, la licence de Sciences et Technologies commence presque obligatoirement par un semestre dans un « portail », un mélange de matières pour pouvoir in fine se réorienter, peu importe ce que l’on a précisé sur Parcoursup. Ils sont au nombre de deux : MISIPCG [Mathématiques, Informatique, Sciences pour l’Ingénieur, Physique, Chimie, Géosciences] et SVSTC [Sciences de la Vie, Sciences de la Terre, Chimie]. À cela s’ajoute la licence MIASHS [Mathématiques et Informatique Appliquées Aux Sciences Humaines et Sociales], qui ne passe pas par un portail.

Les premiers cours, début septembre, voyaient l’amphithéâtre se remplir presque à ras-bord. 200 étudiants amassés dans un endroit, qui écrivent toutes les paroles de l’enseignant-chercheur sur des bloc-notes, cahiers et autres feuilles volantes. La fac, quoi.

Mais rapidement (dès le deuxième cours, en fait), une séparation assez marquée s’est faite dans l’amphi. Dans la moitié en bas de la salle, des personnes concentrées sur le discours du professeur, qui notent. Dans la partie supérieure, un mélange entre étudiants qui notent moins, jeunes fatigués, ou bavards qui ne suivent pas la messe du maître de conférences. Quelques-uns sont sur leur ordinateur, à regarder ce qui ne semble pas être des vidéos sur le cours. D’autres dorment, littéralement, faisant tout de même acte de présence alors qu’il n’y a pas d’appel fait dans ces amphis.

Seulement, cette euphorie, ce mélange d’ambiances dans les amphis ne va pas durer. Ayant lieu en fin de matinée, un lundi, notre cours de chimie va peu à peu se vider, au fil des semaines. Au bout de quelques semaines, la moitié supérieure susdite n’est plus, à l’exception de quelques étudiants récalcitrants (mais qui dorment toujours), laissant pour compte la centaine d’étudiants qui souhaite apprendre. Les gens se regardent ; certaines têtes, pourtant pas de notre groupe de TD, deviennent quelque peu familières. Chaque semaine, le nombre d’étudiants en amphi se réduit ; au bout d’un mois, nous ne sommes plus que 70 présents. L’enseignant en devient ainsi philosophe :

« Ah ouais, vous étiez plus avant quand même. »

Un amphithéâtre quelques minutes avant le début du cours, début octobre.

Un amphithéâtre quelques minutes avant le début du cours, début octobre.

Pourquoi ces étudiants partent-ils ? La plupart restent à la fac, mais ce cours ne les intéresse pas. Après tout, pourquoi venir, sachant que certains étudiants ont eu les cours de l’an dernier, donnés gracieusement par les L2, que la chimie est également vue en TD, et que l’essentiel du cours est disponible sur Internet ? Pourquoi ne pas rester chez soi, à dormir un peu ? La question se pose, surtout lorsque l’on n’a qu’un seul cours en amphi, et que celui-ci a lieu le lundi matin. Et beaucoup ont choisi le camp du déserteur.

Démotivés

L’autre facteur, non négligeable, de disparition des élèves de la fac est la démotivation de certaines personnes, quelques semaines après la rentrée, après avoir goûté aux premiers cours, voire aux premiers partiels [à suivre dans le prochain épisode]. Les étudiants voient la réalité de la fac, et quelques-un font alors face à une désillusion, celle du contenu des cours à l’université, qui n’intéressent pas, qui n’arrivent pas à faire accrocher. La statistique du tiers d’étudiants qui abandonnent lors de la première année de licence est assez révélatrice, et assez visible. Dans mon groupe de TD, pourtant annoncé par notre professeure d’informatique comme traditionnellement « le meilleur de la promo », une petite dizaine d’étudiants est déjà portée disparue — même parmi les étudiants en spécialité sélective, alors que les L2 de cette spécialité m’avaient annoncé qu’il n’y avait eu aucun abandon parmi les leurs l’an dernier. Une étudiante étrangère est partie, ayant trop de difficultés à suivre les cours en français. Un autre a quitté la fac pour partir en BTS, après les conseils de réorientation prodigués par l’Université.

Chaque semaine, lors de l’appel fait par le professeur du TD de mécanique, le premier de la semaine (seuls quelques professeurs font l’appel à la fac, pour pouvoir pénaliser les élèves ne venant pas régulièrement), des prénoms ne répondent pas présents. Chaque semaine à partir d’octobre, cette liste s’agrandit. Quelquefois, une raison est apportée par d’autres étudiants du groupe, “officialisant” quelque peu la démission, à partir de messages de départs postés sur le groupe Messenger de la “classe”. Souvent, on n’entend juste plus parler des démissionnaires. On ne les revoit plus, malgré l’attachement que l’on commençait à avoir pour eux. Tel est le monde de la L1 : des amitiés qui peuvent se former, mais qui seront interrompues par un départ, au mieux un changement de semestre.

Outre les étudiants qui partent du jour au lendemain, certaines personnes quittent également la fac de facto, ne venant plus à la majorité des TD. Tel est le cas de cette amie, qui est encore inscrite, mais vient sporadiquement, de moins en moins, car souhaitant au final partir en étude de médecine l’an prochain. Elle ère, peu à peu, mais elle est venue aux partiels d’octobre. Certains n’ont même pas pris cette peine, d’ébaucher quelques mots sur les feuilles blanches des examens. Dans les amphithéâtres de partiels, évidemment pleins d’étudiants, quelques places, vides, se démarquent, notamment celle de mon voisin de gauche, tout le temps vide. C’est un ami, de mon groupe de TD, qui a dès le mois d’octobre peu à peu lâché prise, en ne venant plus aux cours de l’après-midi, pour se concentrer sur son projet de start-up. On ne l’a définitivement plus revu après ces partiels.

Au fond, en quatre mois de cours, mon groupe de TD aura perdu une dizaine d’élèves, parmi la quasi-cinquantaine que nous étions au départ. Les raisons sont multiples, entre ceux qui ont accepté une migration sur Parcoursup en dernière minute, ceux à qui la fac ne suffit pas, ou encore ceux qui s’étaient inscrits pour avoir une étude, mais sans grande conviction. Et ce n’est pas quelconque réforme qui évitera ce problème.

Réorientés

En effet, « l’orientation n’est pas une science exacte » : il peut arriver à de nombreuses personnes d’avoir accédé à une filière sans en être grandement motivé, ou alors d’avoir changé d’avis. Je l’ai assez vu je pense dans mon ex-classe de Terminale, avec Parcoursup : la semaine précédant la fin de la période de transmission des vœux, nombreux étaient ceux qui n’avaient pas d’idées de quoi faire plus tard (voir épisode 15 de « Génération Test » Image d'illustration « Génération Test » La précédente saison de mon épopée : la vie de lycéens en Terminale à l’aube de Parcoursup. ). Et certains ne le savent toujours pas à l’heure actuelle. Le problème des élèves se perdant à la fac doit ainsi être un non-événement : ce n’est pas grave d’échouer, il faut juste pouvoir continuer et profiter du temps perdu pour trouver sa voie.

C’est à ce titre que les universités jouent également le rôle de “conseillers d’orientation”, par le biais de services spécialisés à la (ré)orientation des étudiants.

À l’Université de Bordeaux, ce service d’aide à la (ré)orientation est fourni par l’« Espace Orientation Carrières », appelé EOC. Cet espace, avec à son bord notamment deux conseillers d’orientation à plein temps, aide les étudiants en quête d’informations, peut les mettre en relation avec des professionnels, mais également les aider à rédiger des CV, des lettres de motivation, dans leurs recherches de stage… ou, ici, dans leurs recherches de nouvelles orientations.

Dans le cadre de sa mission d’orientation, l’Université de Bordeaux a organisé, avant les vacances d’octobre et les premiers partiels, une après-midi banalisée, avec au programme notamment un amphi consacré à la réorientation des étudiants. L’amphi, ayant lieu pourtant juste durant la pause méridienne, est bondé, soit près de 250 personnes voulant avoir des infos sur la réorientation. Tous ne veulent pas se réorienter (comme moi), loin de là. Reste que l’engouement y est, pour un amphithéâtre dont le mot interdit est l’échec.

« La réorientation n’est pas un échec mais une seconde chance qu’il faut saisir ! » scande le Powerpoint préparé pour l’occasion, qui liste les divers moyens de se réorienter à la fac de Bordeaux. Avec un conseil, si ce n’est un ordre : ne pas attendre. Intégration d’une autre licence proposée par l’institution « Université de Bordeaux » (qui regroupe la majorité des licences de Bordeaux), d’un IUT environnant, ou même d’un BTS : rejoindre une formation en cours d’année, sans attendre la rentrée prochaine, est possible, à condition de s’y prendre tôt — pour intégrer les cursus à l’issue des vacances de Noël. Les maîtres de conférences, en l’occurrence les personnes s’occupant du portail, évoquent des cas d’étudiants qui ont trouvé leur voie après une réorientation tardive, en intégrant notamment un BTS en milieu d’année. Et annoncent même un taux de réussite plus élevé que ceux ayant rejoint la formation en début d’année, car la fac forge.

L’Espace Orientation Carrières, au bâtiment A22 de l’Université de Bordeaux.

L’Espace Orientation Carrières, au bâtiment A22 de l’Université de Bordeaux.

Pour ceux qui ne verraient pas midi à leur porte, ceux à qui les rares BTS où il reste encore des places ne plaisent pas, le collège Sciences et Technologies propose également de passer le second semestre… à chercher ce qui pourrait nous plaire, à faire des stages, à étoffer notre dossier, dans un « module de réorientation », qui sert également à éviter d’arrêter ses études, et ainsi de pouvoir continuer à toucher ses bourses. « L’objectif, c’est Parcoursup 2019 », avance la responsable du portail MISIPCG de la fac. Avec en tête, la justification de ce « R » pour réorientation, qui apparaîtra dans le dossier de candidature à des formations, et qui peut dans certains cas être pénalisant, voire donner un malus dans le classement des candidatures…

Une fois l’amphi terminé, la plupart des étudiants partent profiter de leur après-midi libre, loin de ces préoccupations de réorientation. Au dehors de la salle, un étudiant vient me voir, pour me demander où sont les ateliers des lycées évoqués dans la réunion (spoiler : au milieu du couloir). Lui aussi est dans le portail MISIPCG [cf. au-dessus], mais lui vient d’un bac STMG [Sciences et Technologies du Management et de la Gestion, un des bacs technologiques]. Le résultat ne s’est pas fait attendre : il a décroché, ne comprend pas la moitié de ce qui lui est enseigné, faute d’une remise à niveau entre son bac technologique et la licence, qui vise presque exclusivement les bacheliers scientifiques — seuls 3,5 % des bacheliers technologiques ont réussi leur première année. Les promesses de la loi ORE ne s’appliqueront ici que l’an prochain, la faute à un manque de temps pour organiser une année propédeutique en quelques mois. Il ne savait pas quoi faire, si ce n’est qu’il allait partir de cette fac rapidement. Un nouvel égaré, une nouvelle place vide en amphi.

Disparus

C’est ainsi qu’en cette fin de semestre, les salles se sont au moins à moitié vides. En chimie, le dernier cours en amphi, à la mi-novembre, ne réunit plus que 45 personnes, remplissant à peine les cinq rangées de devant. En TD machine d’informatique, seules quatre à six personnes viennent (pour le seul cours de la journée), sur 45 ; tandis que nous restons une trentaine à venir aux cours de mécanique, l’un des rares à faire l’appel. Une douzaine d’élèves sont partis, ne viennent plus, ou presque peu, entre ceux qui se sont réorientés, ceux qui ne viennent plus car pensant déjà à leur formation l’an prochain, ceux qui ont d’autres projets, et ceux qui ont fait un burn-out des études. Le dernier cours, vendredi dernier, d’électronique, comportait une vingtaine d’étudiants, une vingtaine de gaulois réfractaires, qui viennent jusqu’au dernier cours, jusqu’aux partiels. Ils auront probablement leur semestre, au moins. C’est déjà ça.

Photographie d'Adrien
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