Être jeté dans le bain

Ne pas être à sa place

Fac, première semaine

Cela ne fait que 24 heures que je suis désormais étudiant à temps plein, mais les habitudes au réveil sont déjà là. Lever à 7 h 15, petit-déjeuner très sommaire — un yaourt et un jus de fruits — , préparation, habillage, puis fermeture à clé de ce qui me sert de logement, avant de faire cinq minutes de vélo (fort heureusement) pour arriver sur le campus. J’ai de la chance d’être « si proche » de la fac, car cela me permet de rester plus longtemps au lit… ou de me coucher plus tard, aussi.

Toujours dans l’incertitude

En ce mardi 11 septembre 2018, je me rends donc à la fac pour mon second jour de cours. Je connais déjà (et heureusement) mon emploi du temps pour la journée, mais je suis obligé de sortir mon téléphone et d’attendre que le site de l’Université charge pour pouvoir voir le numéro de ma salle. Ce matin commence avec trois heures de mathématiques en anglais, l’une des spécialités de ma filière. Mais problème… sur l’emploi du temps, il y a trois cours de maths à la fois, dans trois salles différentes. Alors, certes, l’une d’entre elles ne me concerne pas, car c’est celle pour les étudiants qui n’ont pas choisi de faire maths en anglais — mais reste le doute entre deux salles du couloir… ce qui me contraint à échanger un peu avec les individus présents dans le couloir, et qui attendent, eux aussi, hésitants sur la salle.

Des stickers « Bienvenue ! » traînent un peu partout sur les sols, sur les murs, des halls et couloirs de la fac.

Des stickers « Bienvenue ! » traînent un peu partout sur les sols, sur les murs, des halls et couloirs de la fac.

J’y apprends que personne ne sait, et du coup, le choix se fait un peu “au hasard”. Puis, la personne qui va nous faire cours arrive, deux minutes avant huit heures, à qui je demande pour qui est la salle… et elle ne saura me répondre. Va-et-vient multiples entre les salles : la prof, qui semble être nouvelle dans l’Université, demande à son collègue de “l’autre salle”, qui n’en sait pas plus. Au bout d’une demi-douzaine de minutes, choix est fait de s’installer avec les étudiants qui le veulent dans la salle — le problème sera fixé plus tard.

Pourtant, ce souci restera bien un quart-d’heure, vu le flot de personnes qui toquent, demandent, se perdent, à la porte.

« Bonjour !
 — Euuh…
 — PI ?
 — Hein ?
 — Mathématiques en anglais ?
 — Ah, non…
 — Alors c’est pas ici !
 — Mais c’est où ?
 — Euuh…
 — (un autre élève) Salle 102 !
 — Merci… »

Et ce, régulièrement, à tel point qu’après cinq minutes de tentative de présentation, dès que la porte est ouverte, j’annonce avant toute question « PI ici, sinon c’est salle 102 ! » mais vient le cas d’une élève d’une autre filière qui n’a pas d’autres cours de maths dans l’emploi du temps… ce qui allongera la phrase : « Ici, maths PI, sinon c’est salle 102 si tu es A1, sinon tu n’as pas cours ! ». Au total, une huitaine de personnes viendront, certains à raison (même si en retard), d’autres à tort, et interrompront la prof qui aura mis alors un quart-d’heure pour faire les présentations désormais habituelles (identité, mail, code UE, modalités d’examens, cf. épisode précédent Image d'illustration Être jeté dans le bain Groupe de classe, habitudes à prendre, numéros des salles : tout est à apprendre, lors du premier jour de cours à la faculté. ). Vient aussi la question des « six heures de cours » d’affilée le jeudi… qui en fait ne sont qu’illusions : tout comme il y a trois fois trois heures de cours en même temps ce mardi matin, le jeudi après-midi est composé de trois fois trois heures de cours en décalés… pour une question de place. Il ne faudra venir donc que pour trois heures de cours… dont je connaîtrai l’horaire plus tard. [spoiler : de 17 h à 20 h, évidemment]

Des stickers de pas ont également été installés dans le couloir, pour amener de l’escalier… à la cafétéria. Comme s’il y avait besoin…

Des stickers de pas ont également été installés dans le couloir, pour amener de l’escalier… à la cafétéria. Comme s’il y avait besoin…

La prof se présente ainsi, et est effectivement nouvelle ici. Italienne (au vu de ses nom et prénom) mais parlant couramment français, elle nous dit par avance qu’« on [lui] a demandé de faire cours en français pour l’instant… ».
En effet, notre réunion vis-à-vis des cours en anglais (dans le cadre d’une extension sélective de filière que j’ai pris en dernière minute, j’en reparlerai plus tard) aura lieu entre midi et deux, et dans l’attente, mieux vaut faire « cours normal », en français en somme.

Toujours est-il que même en français, j’ai du mal à comprendre ce que l’on nous explique. De « la logique », que certains ont déjà vu au lycée, alors que d’autres, comme moi, découvrent tout de ces notations étranges que sont ¬p, p ∧ q, et autres éléments rudimentaires, à en croire mon cours. D’ailleurs, nul ne sait s’il faut copier le cours ou non. L’enseignante écrit tout de même du cours au tableau, mais nous l’avons déjà sur le fascicule, ce cahier d’une centaine de pages du cours de mathématiques de base, en français. Lire ou noter ? Toute la classe note ce qu’elle écrit, moi y compris, sur des calepins, bloc-notes et autres cahiers, même si cela fait doublon avec les « polycopiés ». D’un côté, la prof rajoute des informations, mais de l’autre, elle nous renvoie au « poly » [ndlr : on a pas tous les mêmes abréviations…] que l’on devra lire pour la prochaine fois, où des informations complémentaires sont présentes, où tout est détaillé, parce que l’« on aura pas le temps de tout voir en six heures » par semaine… Là aussi, c’est à nous de construire nos notes, d’inscrire ce que l’on veut, sachant que l’enseignante rajoute des choses, nous demande de ne pas tout apprendre… sans que cela soit précisé outre.

Placement de produit

Après ces trois… longues… heures de mathématiques (qui sont pourtant la raison de ma venue à la fac), nous avons rendez-vous en amphi avec une partie de la promo, pour un cours de « culture et compétences numériques ». Totalement inconnu du bataillon pour tous les étudiants, ce dernier a un intitulé qui laisse penser à un bon vieux cours pour apprendre à gérer Excel et envoyer un mail — c’est du moins ce qu’on semble dire dans les couloirs ou dans l’amphi, en attendant le prof. Mais ce dernier commence d’emblée la présentation par rayer toutes ces supputations d’un autre monde :

« Ce cours est révolutionnaire ! »

À deux doigts de se prendre pour Steve Jobs, l’enseignant-chercheur vante ainsi ce nouveau cours créé par l’Université de Bordeaux :

« C’est une nouvelle UE [Unité d’Enseignement, ndlr] transverse créée par les universitaires, […] qui remplace le C2I ! »

Pour replacer dans le contexte pour les néophytes (comme moi) : jusqu’à présent, tout un chacun devait valider à l’université le C2I, certificat informatique & internet, qui assure d’un niveau “lambda” pour un universitaire. Tout comme son équivalent au collège le fameux B2I, théoriquement nécessaire pour l’obtention du brevet des collèges, le C2I était théoriquement nécessaire pour l’obtention de la licence. Mais ce n’était qu’un ridicule certificat, qui se charge de démontrer que vous savez utiliser un tableur, envoyer des mails… des compétences rudimentaires mais nécessaires dans la vie de tous les jours, et qui ne sont — malheureusement — pas enseignées durant l’enseignement scolaire français. Mais le C2I devait changer car, selon les dires du prof, « il fallait avoir plus d’ambitions », voir plus haut… et créer un système unique de certificat pour collégiens, lycéens, universitaires et retraités, j’ai nommé : le PIX ! « Ne cherchez pas d’acronyme, il n’y en a pas. »

Pour faire simple, le Pix est un site internet et un certificat qui s’échelonne en niveaux dans des domaines, de 1 à 8 (à terme). Il n’y a pas de nécessité pour tout un chacun d’avoir le niveau 8, qui assure une quasi-maîtrise du dit-domaine : un niveau 8 dans le domaine “programmation” aurait alors le niveau d’une licence informatique… et pourrait être utilisé dans les CV, car il peut être un vrai diplôme professionnalisant (selon les dires du prof). Pour le décrire, l’enseignant parle d’un « jeu vidéo permanent où l’objectif est de monter de niveau quand on peut et quand on veut », seuls quelques un pouvant se vanter d’avoir le high score du niveau 8 (toujours pas terminé). Un jeu en beta, mais surtout « made in Bordeaux » d’après le prof, qui vante l’Université comme « l’un des premiers centres agréés » à délivrer le Pix professionnalisant, grâce à leurs universitaires qui ont aidé à l’élaboration du Pix.

« Il a été décidé d’utiliser des plateformes *modernes* ! » dit-il en parlant… d’auto-évaluation.

Et à Bordeaux, pour fêter dignement l’arrivée du Pix, on a choisi d’obliger les 50 000 étudiants à passer cette année une UE obligatoire pour tous, quelque soit la filière, au niveau 3 à 4. Et ce, même s’il n’y a que douze semaines dans un semestre : tant pis, les étudiants apprendront les rudiments de l’informatique via un Moodle, un cours en ligne (aussi appelé MOOC dans le jargon informatique), et seront notés par des auto-évaluations, quoique plus complexes qu’un QCM : « Parfois, il faudra envoyer des fichiers, chercher la réponse dans un mail… » Mais gare à ceux qui ne valident pas le PIX d’ici décembre : ils ne valideront pas leur UE… et… et c’est tout.

Très rapidement dans l’amphi, une distinction se fait entre ceux qui écoutent encore et ceux qui se foutent royalement des explications du prof, qui, à la manière d’un pédagogo, déroule son PowerPoint et relit les phrases tout en ayant une grande gestuelle, pour vendre le projet de la fac.

« L’objectif de PIX est d’accompagner l’élévation du niveau général de connaissances et de compétences numériques et ainsi de préparer la transformation numérique de l’ensemble de notre société et de notre économie. »
— Diapo de présentation de l’UE et du projet Pix

Le temps file et la faim se fait peu à peu entendre, tandis que le professeur évoque les domaines du Pix :

  1. Informations et données
  2. Communication et collaboration
  3. Création de contenu
  4. Protection et sécurité
  5. Environnement numérique

Puis il embraye sur des exemples dans chaque domaine. « Informations et données » traite par exemple de “recherche et veille d’information”, de gestion et de traitement de données, le tout se faisant la promotion de la culture libriste, alors que le professeur fait la publicité de Qwant, le moteur de recherche français qui fait de l’ombre à Google (spoiler : c’est faux). Puis le prof tente alors des questions pour tenter de ranimer la salle : le format PDF est-il libre ? Internet et le Web sont-ils la même chose ? Ou alors, POURQUOI IL FAUT ARRÊTER LES MAJUSCULES DANS LES MAILS ? Tentatives qui fonctionnent… un moment.

Car l’heure passe, mais la demi-heure restante semble la plus longue pour tout le monde, alors que le prof n’a l’air qu’à la moitié de sa présentation. À cinq minutes de la fin officielle du cours (12 h 20, les cours durant 80 minutes), celui-ci se presse, passe les derniers thèmes, et parle alors de la notation. Et alors que cinq niveaux sont actuellement disponibles, et que l’on aura que huit TD ensemble… les profs réclament un niveau 4 pour les thèmes abordés en une heure en TD, 3 pour les autres… mais ce, pour avoir 12.

Tableau du barème de la note de CCN en fonction du niveau obtenu sur Pix

Le tout avec des pondérations et notes bonus, dont on aura l’habitude à l’université : pas de simples notes dont on fait la moyenne, comme en lycée, mais des calculs d’apothicaires pour obtenir une note finale sur 200.

12h20, le prof n’a pas fini sa présentation, mais les élèves rangent déjà : le resto U n’attend pas, contrairement aux explications bateau de ce prof que l’on ne reverra probablement plus jamais, n’étant là que pour l’amphi de présentation (et un groupe de TD).

Réunion et bizutage

Exceptionnellement en ce mardi a lieu également une réunion à destination des étudiants qui, comme moi, ont des cours en anglais. C’est en effet par une formation sélective, ou plutôt un supplément sélectif à la licence que j’ai rejoint en toute dernière minute, que j’ai ces cours-là, et ce supplément comporte à la fois un cours « normal », les mathématiques ce semestre, et une mineure… à choisir. Enfin, à candidater : lorsqu’une enseignante, qui parle en anglais « car sinon ça ne sert à rien que vous soyez là », annonce d’emblée qu’elle ne recrutera pour sa mineure à choix que sur lettre de motivation ou entretien. L’auditoire soupire, de (re)voir de la sélection après la rentrée.

Toutefois, avant d’apprendre le contenu de ces mineures à choisir (spoiler : boring), les L2 [étudiants en deuxième année de licence, ndlr] tiennent à nous accueillir, et nous faire passer un questionnaire pour nous donner un parrain.. et nous proposer une journée et « soirée d’intégration ». « Promis, y aura pas trop de bizutage… » est-il écrit sur le papier. Invitation à une soirée dès le deuxième jour… bienvenue à la fac !


En sortant de l’amphi de rentrée, et après avoir mangé mes croque-monsieur fait maison (je vous recommande pas), je flâne un peu dans le bâtiment principal. Près de l’entrée, des panneaux de liège sont présents depuis longtemps, mais un a été installé récemment. « Permutation : tableau pour les échanges de groupes entre étudiants » On nous l’avait annoncé lors de la réunion de pré-rentrée comme étant « en vain ». Ici, des étudiants sont en recherche de personnes voulant bien changer de groupe après la rentrée scolaire. Le plus souvent pour ne pas être seuls, et retrouver des proches, des connaissances, des ex-lycéens. La peur d’être seul·e les fait changer de section, mais la fac ne l’autorise qu’en cas d’échange avec un autre étudiant dans le groupe, pour éviter de déséquilibrer les classes. Il faut alors chercher des volontaires, des gens qui veulent bien se décrocher de son groupe, faire table rase tant qu’il est encore temps, et retrouver un énième groupe de classe, au milieu des amphis. Et le plus souvent, alors que personne ne connaît encore vraiment les moyens de communication de la fac, cela passe par ce tableau de liège, installé par l’Université elle-même. Ici, seuls quelques damnés comme moi lisent les panneaux, mais ne pourront y répondre, car pas dans la même série, n’ayant pas les mêmes options… Et pour les étudiants, le temps presse : la fac n’autorise ces permutations que durant deux semaines. Après, les cours sont trop avancés, les profs ont appris les noms, les visages, et surtout, ont commencé les contrôles, et le groupe sera gravé dans le marbre… pour le semestre, tout du moins.

Dans le bâtiment principal, un panneau d’affichage est dédié aux demandes de permutation. Ces élèves-là sont à la recherche, vite, de personnes qui voudraient bien changer de classe pour le reste du semestre, afin que certains soient avec des connaissances. La solitude est crainte et fait craindre… mais malheureusement seuls quelques étudiants auront des réponses, dans les deux semaines réglementaires.

Dans le bâtiment principal, un panneau d’affichage est dédié aux demandes de permutation. Ces élèves-là sont à la recherche, vite, de personnes qui voudraient bien changer de classe pour le reste du semestre, afin que certains soient avec des connaissances. La solitude est crainte et fait craindre… mais malheureusement seuls quelques étudiants auront des réponses, dans les deux semaines réglementaires.

Multilinguisme

Mardi après-midi et mercredi, je n’ai pas cours. C’est l’un des points positifs d’être à la fac : les emplois du temps ne sont pas fixes, certaines matières ne durent que quelques semaines, d’autres arrivent après que l’on soit suffisamment habitués dans un domaine (comme l’informatique), ce qui fait que durant ces premières semaines, certains cours ne sont pas présents, et j’ai du temps libre. Désavantage : tout le monde part après l’amphi en ce mardi midi, sans que personne ne se connaisse. Il faudra attendre jeudi, dès l’aube, pour que la classe se revoit, en cours d’informatique.

Trois jours après la rentrée, des groupes se sont toutefois formés : autour de moi, deux “réseaux” de deux personnes, avec qui je fais mes habituels commentaires durant les cours, ou je mange au resto U. De l’autre côté de la classe, on a également des duos qui sont proches, une étudiante qui partage ses amphis avec une demi-douzaine d’autres… et des inconnus. Mais dans le couloir, en attendant la prof en ce jeudi 13 septembre, certains, pour une fois, parlent… pour essayer de se trouver un groupe pour le cours de méthodologie de lundi (cf. épisode précédent). De mon côté, un trio est rapidement formé, et je me charge de contacter le professeur durant la pause entre midi et deux. Mais il faut être quatre, et en fin de soirée, après le cours de mathématiques en anglais, un quatrième étudiant vient rejoindre nos rangs : il est catalan, et donc un peu perdu (en tant que nouvel arrivé ici), et c’est avec plaisir que je l’incruste dans le groupe pour éviter le courroux du prof. Mais tout le monde n’a pas cette chance là : à 20h, après le cours de mathématiques, certain·e·s étudiant·e·s sont encore en recherche d’un groupe… alors que personne n’a cours le lendemain, et que tout le monde part ainsi en week-end. La solitude, la vraie, se sent alors pour ces néo-bacheliers à qui on vient de demander de se sociabiliser dès la première semaine.

Des bâtiments, vides, sur le campus, un jeudi soir.

Des bâtiments, vides, sur le campus, un jeudi soir.

« Votre groupe, c’est la meilleure moyenne de l’UE. »

La prof d’informatique commence fort. En ce matin, tout le monde n’est pas encore tout à fait réveillé. Mais, pour un cours d’informatique, certains ont logiquement pris leur ordinateur personnel pour pouvoir bosser… au cours, ou à autre chose, car ceux qui ont leur ordinateur n’auront probablement pas besoin de ce cours pour savoir coder. Pour les autres, certains ne savent pas ce qu’est un algorithme, ou ce qu’est Python. Quelques-un n’ont jamais codé (alors qu’ils sont en majeure Maths & Informatique), alors la prof reprend les bases : une fonction fait appel à des variables, qui peuvent être testées, modifiées, affichées… L’heure trente passe relativement vite, avec le concours des cours déjà imprimés dans un grand fascicule vert. Mais c’était sans compter sur la seconde partie du cours, une heure trente supplémentaires passées en salle informatique… où on nous abandonne à notre sort. Pendant le premier quart-d’heure, tout le monde patauge sur les ordinateurs de la fac, qui possèdent deux OS (Windows & Linux), mais que personne ne sait activer. Puis la plèbe ne sait pas quels sont ses identifiants sur les ordinateurs, personne n’ayant pris le soin de mentionner la connexion au réseau informatique. Ensuite, c’est le travail même à faire qui est inconnu des étudiants : et ça sera le cas toute l’heure durant. Alors, les plus geeks continuent à développer leur appli, tandis qu’un M1 [étudiant en première année de master, ndlr] surveille et est assez étonné du niveau de certains. Et les autres regardent l’emploi du temps à venir, font les quelques premiers exercices du fascicule, ou attendent, dans une salle où il n’y a qu’un ordinateur pour deux. Espérons que la situation aura changé la semaine suivante.

En amphi, les ordinateurs s’affichent (un peu) plus. Quatre, en tout, contre un lors du premier cours de chimie. On retrouve le prof jeune & dynamique de la dernière fois, qui déroule son cours avec beaucoup de pédagogie et de prestance, mais qui visiblement est lui aussi nouveau dans cette université, car cherchant désespérément la lumière pour le grand tableau vert où sont inscrits à la craie les formules. Ah oui, car je ne l’avais pas précisé : à part en amphi et dans quelques salles de TD, on est encore au vieux tableau à craie à l’Université. Dans l’amphi séjourne encore une inscription en relief « DÉFENSE DE FUMER » où l’accent et le “F” sont tombés, visibles uniquement grâce au contraste avec les zones où la poussière a blanchi le bois. On voit aussi, collée au bureau, une affiche faite avec WordArt sur Office « INTERDICTION DE MANGER DE BOIRE » [sic]. Et évidemment, aucune prise dans la salle, à l’exception de celles en bas pour le prof, et en haut de la salle près des portes.

Puis vient, finalement, le cours de mathématiques, après cinq heures d’attente. Et là, surprise : ce n’est pas la même enseignante que mardi matin. Certes, il est italien, mais la ressemblance s’arrête à là. Et ce n’est pas son accent italien terriblement sexy qui va nuancer avec le cours… où on a parfois du mal à comprendre ce qu’il veut dire. Pour le second cours, les maths sont entièrement en anglais, mais il parle parfois latin, ce qui nous fait le perdre.

« Pour tous les paramétrix », « “not P”, l’inverse de P », « J’ai dit une grosse connerie » : l’accent italien ressort mais nous fait sourire, et c’est ce moment de gêne et de joie qui rapproche un peu les gens dans une salle encore remaniée depuis le dernier cours de maths, avec des groupes formées depuis. Au milieu de “reductio ad absurdum” ou de “contraposition”, les langues se délient, les gens sourient, les regards mesquins vis-à-vis du prof se croisent à chaque bévue ou incompréhension. Et après trois heures, sur les coups de 20 h finit le cours (toujours après ce long quart-d’heure d’attente où les yeux sont plus souvent sur le téléphone ou la montre que le bloc-notes ou le poly), mais les étudiants eux restent un peu dans le couloir, à discuter. À trouver un groupe, certes, mais ce peu de chaleur humaine au milieu d’une soirée qui commence à finir vient tiédir une ambiance de classe un peu glacée, au beau milieu de ces murs froids et ternes. Et vient ainsi, un peu d’amitié.

Photographie d'Adrien
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