Windows Phone, chronique d'une mort annoncée
Le temps est compté. Le 14 janvier prochain, soit dans deux semaines, Microsoft publiera la dernière mise à jour de sécurité de Windows 10 Mobile, marquant ainsi la fin du support de la dernière mouture de son système d’exploitation pour téléphones. Initialement programmée le mois dernier, elle a été reportée in extremis, histoire de distribuer les derniers patches de sécurité et de corriger quelques bogues de plus.
Ces dernières semaines, la presse mondiale s’est fait écho de la fin définitive de Windows Phone, de la mort du système d’exploitation, de l’euthanasie de cet « échec » de Microsoft. Depuis des années, celle-ci tape sur ce cheval mort, parfois avec les mots complices de la compagnie qui se moque ouvertement de ce raté, ou demande de passer à autre chose. Dernier signe de mort de l’OS : l’arrêt à compter d’aujourd’hui du 14 janvier de la messagerie WhatsApp, qui cessera volontairement de fonctionner.
Un OS révolutionnaire
Pourtant, tout avait bien commencé. Au début de la décennie, Steve Ballmer, alors patron de Microsoft, présente Windows Phone 7, son tout nouveau système d’exploitation pour smartphones, produit d’années de développement, à contre-pied de tout ce qui se faisait sur le marché. Avec cet OS, Microsoft entre une bonne fois pour toutes dans le marché naissant du smartphone, avec l’intention de concurrencer Android. L’entreprise ne découvre pas le milieu : depuis les années 90, la firme proposait une version mobile de Windows. Mais la sortie quelques années plus tôt d’iOS a poussé le géant américain à développer un système pour smartphones, s’insérant dans ce secteur en pleine croissance.
Sans l’encenser, la presse s’intéresse à ce système qui innove beaucoup, comme le fait remarquer Vlad Sarov dans The Verge (en anglais) : l’interface d’accueil moderne, nommée Metro, qui se décompose en tuiles affichant des informations, l’affichage panoramique qui est le cœur du système d’exploitation, ou le clavier, plus ergonomique que celui d’Android.
Encore aujourd’hui, nombreux spécialistes sont ceux qui considèrent que Windows Phone 7 était en avance sur son temps. Plus tard, Windows Phone 8, puis 8.1 apporteront d’autres nouveautés encensées, comme la prédiction des mots selon des traces de gestes, qui sera copiée sur les autres systèmes, ou le centre de messagerie unique.
En 2011, pour aider son développement, Microsoft signe un partenariat avec Nokia, qui est en perte de croissance et veut se rattraper. Le Finlandais abandonne son OS maison pour Windows. En vain.
La dégringolade
Car c’est peut-être là le point qui a failli : la firme voulait exporter son système d’exploitation sur des téléphones via un format de licences, payantes… là où Android proposait son système en open source, de manière libre aux fabricants qui peuvent le modifier, et là où Apple produisait ses propres téléphones. Mécaniquement, les exploitants ont préféré Android. Les quelques fabricants de téléphones ayant eu confiance en Microsoft ont vité quitté le navire. Et Nokia a coulé.
À son apogée, Windows Phone a pourtant eu jusqu'à 14 % de parts de marché en France, l’un des pays qui le soutenait le plus. Mais le manque d’applications à l’heure où se développe les usages mobiles est criant, et l'échec de Windows 8 puis le manque de compatibilité vers Windows 10 Mobile ont détruit les espoirs de voir un store aussi rempli que les autres OS. Très tôt, les fournisseurs d’application se sont tournés vers les systèmes d’exploitation avec le plus de part de marché, iOS et Android, délaissant alors Windows Phone. Deux OS étaient déjà assez. Le comble sera Google, qui a toujours refusé de porter ses services sur l’OS de Microsoft : YouTube n’aura ainsi jamais longtemps été sur Windows Phone. Microsoft avait même développé une application YouTube, finalement bloquée côté serveur par Google*. Une histoire secrète, racontée ici encore par Tom Warren, sur The Verge (en anglais). Ce dernier empêche même l’accès au site Google Maps. Et tandis qu’Android pouvait se passer de Microsoft… il était peu possible de se passer des services de Google. Snapchat, Instagram, YouTube sont autant d’applications qui ne sont pas disponibles sur Windows Phone, et que les développeurs n’ont jamais voulu développer.
De plus, à chaque grosse mise à jour, Microsoft changeait le cœur de l’OS, empêchant la compatibilité des applications… et des téléphones vers le nouveau système d’exploitation. Les applications de Windows Mobile n’ont pas pu être portées vers Windows Phone, ceux qui avaient cru en Windows Phone 7 n’ont pas pu profiter des nouveautés de Windows Phone 8 (hormis de la nouvelle interface d’accueil, via une mise à jour nommée 7.8), et ceux qui voyaient en Windows 10 Mobile une renaissance ont été douchés par le faible nombre d’appareils compatibles. Les développeurs ont alors très vite abandonné Windows Phone, le rendant caduque jusqu'à Windows 10 Mobile (pour qui les applications développées pour Windows PC sont compatibles)… trop tard. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.
We have tried VERY HARD to incent app devs. Paid money.. wrote apps 4 them.. but volume of users is too low for most companies to invest. ☹️ https://t.co/ePsySxR3LB
— Joe Belfiore (@joebelfiore) October 8, 2017
Dès 2014, alors que Windows Phone 8.1 sort, les critiques annoncent déjà la mort de cet OS, et même les plus enthousiastes abandonnent, à cause du manque flagrant d’applications. Microsoft rachète la branche mobile de Nokia pour 5 milliards de dollars… pour au final ne plus proposer que deux nouveaux téléphones haut de gamme en 2015, une honte quand on ne possède que 2,5 % de part de marché mondiale et que l’on manque d’applications. Dès cette année, Microsoft refoule le marché mobile, avec un Windows 10 Mobile qui est pensé pour ne coûter que peu à l’entreprise. Plus tard, certains diront même que la nouvelle patronne de Microsoft, Satya Nadella, voulait faire table rase des productions de son prédécesseur.
Comme ne pas s'étonner alors quand celle-ci annonce officiellement l'échec de Microsoft en 2016, puis qu’en 2017, le responsable du développement de Windows Phone annonce… qu’il n’y aura plus de nouveautés sur Windows 10 Mobile. S’en suit la descente aux enfers.
La descente aux enfers
Vivre avec un téléphone dont la mort est d’ores-et-déjà programmée, c’est faire face à de nombreux arrêts d’applications, souvent alors qu’elles marchaient encore. Et parfois… venant de Microsoft même. Dès juillet 2017, l’entreprise arrête d’elle-même Skype pour les téléphones sous Windows Phone 8.1, sans prévenir — et alors que de nombreux utilisateurs ne peuvent passer à Windows 10 Mobile. En février 2018, elle arrête les serveurs des mobiles jusqu'à la version 8.0, supprimant de fait les notifications. Le mois dernier, il a arrêté définitivement le store pour Windows Phone 8.1 — les possesseurs de l’OS ne peuvent alors plus installer d’applications. Et à compter du 14 janvier prochain, le dernier système d’exploitation ne sera plus mis à jour.
C’est la même chose pour les applications externes : Twitter n’a plus mis à jour son application pour Windows Phone depuis des années, puis l’a rendue dysfonctionnante… avant d’en relancer une autre, qui est une PWA* de Twitter Lite. Les PWA (progressive web app) sont des applications qui consistent en des pages web… mais au fonctionnement et à l’efficacité similaires à une application. Cela aurait pu être le futur des applis sur Windows 10 Mobile… mais Microsoft a tardé à rendre son navigateur compatible. Spotify a arrêté la mainenance de son application, qui ne permet plus de rechercher des musiques. Facebook a directement rendu incompatible la sienne en juin dernier. Et WhatsApp va suivre, au 14 janvier prochain.
Les dates butoirs suivantes sont d’ores-et-déjà programmées pour la fin de Windows 10 Mobile : après le 10 mars prochain s’arrêtera la synchronisation entre appareils et la création de backups, et d’ici l’an prochain la synchronisation de photos et la restauration d’appareils. L’arrêt du Store n’est lui pas encore fixé.
Pourquoi se faire du mal ?
Malgré toutes ces péripéties et sa fin proche, je suis l’heureux possesseur d’un Windows Phone. Même de deux, le premier, un Lumia 625, étant décédé en 2016 par prise d’humidité ; je me suis résolu alors à en prendre un autre, un Lumia 735, d’occasion, par conviction personnelle et flemme de tout devoir changer. J’ai connu Windows Phone 8, 8.1, et désormais Windows 10 Mobile (que j’ai installé à regrets lorsque Twitter a cessé de fonctionner). J’ai vécu pendant des années ces remarques des autres, étonnés, ces questions posées lorsque je revenais au pays, ces « Ça existe encore, Windows Phone ? » ou « T’as encore ton téléphone ? », ces excuses pour ne pas avoir Snapchat, ces mises à jour qui n’arrivaient jamais, ces nouveautés que je ne pouvais avoir, ces sites internet qui ne marchaient pas ou ces applications qui s’arrêtaient d’un coup. Je regardais toutes ces innovations technologiques du coin de l'œil, ces changements éditoriaux avec soupirs, ces dramas entre fans d’Apple et fadas d’Android avec sourire. J’ai conservé les favoris de Twitter trois ans de plus après leur disparition, eu les anciennes emotes de Skype jusqu'à sa disparition, connu les radars sur l’application Waze malgré la nouvelle législation. J’ai dû utiliser des applications tierces pour Discord, Vine ou autres YouTube.
Et pour tout dire… mon unique téléphone est encore ce Windows Phone. Depuis des mois, des années même, je vois les applications tomber les unes après les autres, les annonces de fin de support voire même d’arrêt défiler, parfois avec des messages d’avertissement. Et depuis toujours, je vis ce manque d’applications. Mais pour autant, je ne souhaite pas changer de téléphone. Je me suis juste adapté.
Windows Phone est un bon système d’exploitation, et pour avoir également des appareils Apple et Android à la maison, je regretterai le moment où je devrai changer pour ceux-là. L’interface est séduisante, la navigation claire, et surtout il fait les choses bien, sans plus. Surtout, c’est un système d’exploitation alternatif. Il m’est décevant de voir que toute la galaxie des systèmes d’exploitation pour téléphones portables se résume à deux géants : l’un, très cher, qui préserve la vie privée mais joue sur son image ; l’autre, qui inonde de la marché mais utilise allègrement les données personnelles de ses utilisateurs — et ce sans compter les surcouches qu’imposent les vendeurs de téléphones… Malheureusement, le marché s’est effondré sur lui-même, et la dualité iOS – Android s’est installée, avec la complicité des fournisseurs d’application qui ne souhaitent pas développer pour plus de deux plateformes. Et malgré les sanctions américaines, le futur HarmonyOS de Huawei se basera sur la version open source d’Android. À moins que…
Mais encore plus encore, je n’aime pas cette logique d’obscolence programmée des logiciels et matériels, qui sont abandonnés mais surtout volontairement arrêtés après quelques années d’utilisation, forçant de ce fait le rachat d’un nouvel appareil alors que le précédent était encore en état de marcher. L’arrêt des serveurs, voire l’intégration d’une bombe à retardement dans des applications, est insupportable alors que, sans nécessairement maintenir à jour celles-ci ni intégrer de nouvelles fonctionnalités, les éditeurs pourraient juste laisser à l’application couler sa petite vie… Certes, les utilisateurs seraient alors prompts à des failles de sécurité et des bogues, mais cela fait partie de la dépréciation générale de tout matériel… pas l’arrêt de fonctionnalités.
C’est pour cela que je conserve mon Windows Phone, malgré les injonctions même de Microsoft de passer à la concurrence : je ne souhaite pas changer pour changer. Je ne suis pas fou ni idolâtre de Microsoft, et lorsque mon téléphone mourra, j’opterai pour un Android ou assimilé. Toutefois, d’ici là, je continue à utiliser mon Windows Phone… non sans peine.
Comment utiliser un OS dont les applications tombent les unes après les autres ? Quelle est la vie que l’on mène lorsqu’on ne possède pas Snapchat, Instagram, Facebook, Messenger ? Quels regards sont posés sur ces barbares au sens premier du terme, qui n’utilisent pas un des deux OS précités ? Car nous ne sommes malheureusement plus nombreux à utiliser au quotidien un tel appareil, et à des fins historiques, qui sait, cette série va raconter ma vie d’utilisateur de Windows Phone, comment mon téléphone a évolué ces dernières années, et comment j’ai dû m’y adapter. Entre recherches dans des petites communautés et débrouille pour compenser des effets indésirables, le quotidien n’a pas toujours été facile… mais cela m’a également appris pas mal d'éléments techniques, et surtout la frugalité.