Windows Phone, chronique d'une mort annoncée

OS Windows Phone : WhatsApp ne répond plus

Comment j'ai (sur)vécu sans Snapchat ou Discord

Lorsque j’ai commandé mon premier Windows Phone, en juillet 2014, je ne m’attendais pas à manquer d’applications. À l'époque, Snapchat est en pleine croissance, mais la plupart des gens se parlent encore exclusivement sur Facebook, en proportions moindres sur Twitter. Les gros réseaux sociaux sont sur Windows Phone 8 à l'époque : Facebook, Twitter, Skype. Les professionnels ne sont pas en reste : Slack, Evernote, LinkedIn, Dropbox, évidemment Office sont tous disponibles sur le système d’exploitation de Microsoft, qui en France atteint même jusqu'à 10 % de parts de vente. De plus, en 2014, l’utilisation d’un smartphone paraissait somme toute encore limitée : appels, messagerie, réseaux sociaux, Internet, mails, YouTube aussi… mais pas de binge watching de séries sur Netflix, d’utilisation intensive de Snapchat, Instagram, TikTok, ou de discussions geek sur Discord. Windows Phone était un outsider probable du duo iOS — Android. Mais il lui manquait des applications.

Dès lors, la descente aux enfers de Windows Phone dure, depuis des années. Dernier en date : WhatsApp, qui depuis ce matin n’est volontairement plus accessible sur Windows Phone, l’entreprise ayant tout de même pris le soin de bloquer l’application de l’extérieur, avec un message incitant… à changer de téléphone. Telle est ma vie sur Windows Phone depuis des années : Skype a disparu de Windows Phone 8.1 très tôt, Snapchat menace les créateurs d’applis tierces, Discord n’a jamais voulu développer d’application alors qu’il grandissait, Slack a arrêté le développement de la sienne il y a deux ans maintenant, et c’est sans parler du cas Twitter, toute une histoire. Pour les utilisateurs : l’histoire d’une vie à côté des cercles sociaux que sont Messenger, Snapchat ou Instagram — à lire, dans la partie 2 à venir. Et surtout, la perception de plusieurs visions du développement d’applications, entre obsolescence programmée et débrouille technique pour faire marcher, coûte-que-coûte les applis non supportées.

Mon téléphone à terre, avec un message indiquant la fin du support de WhatsApp sur Windows Phone, bloquant toute interaction avec le service.

Au commencement, un manque d’applis criant

L'élément qui a manqué pour le développement de Windows Phone est le manque considérable d’applications, en comparaison avec iOS et Android. Alors que l’usage du smartphone et de la tablette se développait pour à peu près tout, Windows Phone, véritablement sorti un peu tard, n’a jamais vraiment convaincu les développeurs. À l'époque de sa sortie, l’OS est disponible chez plusieurs marques, qui hésitent entre plusieurs systèmes d’exploitation : LG, Samsung et même HTC, pourtant fidèle parmi les fidèles ayant produit les Windows Mobile (prédécesseurs et précurseurs du smartphone), ont produit des Windows Phone… et des Android dès leur lancement. Quelques années plus tard, à la sortie de Windows Phone 8, en plus des HTC et Samsung, rejoignent deux acteurs encore hésitants : Huawei, entre Android et Windows Phone, tandis que Nokia développait encore son propre système d’exploitation Symbian. La plupart abandonneront rapidement, comme Huawei en 2014. Une situation que l’on n’imagine plus aujourd’hui, où un fabricant de téléphones est mains et poings lié à un système d’exploitation (mis à part quelques folies).

Ce n’est que bien des années après la sortie du premier Windows Phone que Nokia sera définitivement associé à Microsoft, via d’abord un contrat à un millard de dollars dès 2011, puis le rachat de la branche mobile du Finlandais par Microsoft. Pour les développeurs, il est déjà trop tard : un marché fragmenté, minoritaire, puis des mises à jour qui rendent à chaque fois incompatibles les applications, à cause de changement majeur de philosophie… tous les ans (ou presque) : de Windows Mobile à Windows Phone, de Windows Phone 7 à 8, de Windows Phone 8 à Windows 10 Mobile et ses applications compatibles PC et smartphone. Rien de tout cela n’incite les éditeurs à dépenser du temps et de l’argent dans le développement d’une troisième mouture de leur application mobile.

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. La presse rapporte même que Microsoft a pendant longtemps payé les éditeurs d’applications, notamment en France, pour les inciter à porter leur application sur Windows Phone. Avec succès pour beaucoup, comme Foursquare (voir l’article)… quand ce n'était pas Microsoft qui développait entièrement l’application, comme cela a été le cas pour Facebook, avec leur accord, ou pour YouTube, cette fois-ci sans l’accord de Google… qui a ensuite bloqué les accès serveurs, puis empêché Microsoft d’en recréer une*. Une histoire secrète, racontée ici par Tom Warren, sur le site spécialisé The Verge (en anglais). Après des années d’effort, la firme aurait même convaincu Snapchat… sans que cela soit vérifié, par manque d’envie pour un OS qui ne faisait que quelques pourcents de parts de marché.

La résultante est une sorte de cercle vicieux : les consommateurs n’achètent pas de téléphone sous Windows Phone en raison du manque d’applications, les développeurs ne veulent pas développer sur Windows Phone en raison de la faible part de marché, et — il faut l’avouer — par volonté de ne pas installer un troisième OS sur la table, ce qui alourdirait encore plus le développement d’applications mobiles. C’est ainsi que le marché actuel s’est fragmenté, comme un cartel, en deux géants, Apple et Google, et que toute tentative de fonder un troisième OS est purement fortuite (même Huawei s’y est essayé… en se basant sur le cœur d’Android).

Le système D : développer

Que faire alors quand on est adolescent et que l’on souhaite tout de même accéder à Snapchat, Instagram, ou le réseau social à la mode, Vine ? On se tourne vers des applications tierces.

La communauté autour de Windows Phone, plus petite donc un peu plus soudée, a permis de développer de nombreux applications pour compenser un tant soi peu le manque de travail des entreprises. Parfois, celles-ci relèvent juste de simples correctifs, comme pour l’accès à Discord, un service de messagerie instantanée dont certaines applications tierces sur Windows Phone ne font que reprendre la version web en modifiant des fichiers sources pour la rendre compatible. D’autres fois, surtout à l'âge d’or du système d’exploitation, c’est une application totalement repensée, parfois meilleure que les versions sur Android, qui est développée. 6sec a été la grande application, recommandée par Microsoft sur son Store, pour accéder à Vine. Une autre personne a développé une version mobile pour Wikipédia, ensuite saluée par la Wikimedia Foundation.

Le développement d’applis tierces est même devenu une habitude pour certains qui se sont faits connaître grâce à ça : le Français Rudy Huyn, à l’origine de la plus populaire alternative pour Snapchat, travaille désormais pour Microsoft. Atta Elayyan, malheureusement décédé lors de l’attentat de Christchurch en mars dernier, avait développé et suivait activement une alternative pour YouTube, nommée MetroTube, qui était l’une des plus grandes applications proposées sur le Store.

C’est ainsi que, s’il manque une application importante sur Windows Phone, on peut être presque sûr d’en trouver une tierce, pirate, sur le Store ou ailleurs pour compenser. J’ai pris du plaisir à utiliser Readit pour accéder à Reddit, Radio France pour écouter les flux de la radio FIP. Certes, le très grand public ne pensera pas à télécharger des applications au nom bizarre, mais les alternatives comme MetroTube ou 6snap sont très populaires sur le Store et les téléphones des gens — et le monde attirant le monde — elles furent souvent recommandées par Microsoft-même.

À plus petite échelle, je me suis développé mon propre serveur CalDAV, grâce à radicale, permettant de synchroniser calendrier sur mon ordinateur et calendrier sur mon téléphone sans passer par une appli qui pourrait être abandonnée en milieu de route. J’ai utilisé pendant plusieurs mois des alertes push via IFTTT et Pushbullet pour compenser le manque de notifications de certaines applications. Je me suis débrouillé, et l’utilisation d’un OS ultra fermé m’a paradoxalement donné très envie d'être libre.

Seulement, encore faut-il que l'éditeur ne mette pas de bâtons dans les roues. L’histoire de Google porté par Microsoft peut faire sourire, mais lorsque les nombreuses applications tierces ont été bloquées par Snapchat eux-même, alors qu’ils ne daignaient (et ne daigneront pas…) faire de version pour Windows Phone, l’affaire fait moins rire. Cela a pourtant été le cas, et Snapchat est ensuite allé jusqu'à bannir les comptes des personnes utilisant une appli tierce, sans distinction d’OS, empêchant de facto l’utilisation du service sur Windows Phone.

En cause, d’après Rudy Huyn son développeur, la « haine » du PDG de Snapchat envers Microsoft, qui agit ainsi délibérément pour empêcher l’accès à son service aux utilisateurs de Windows Phone. Une histoire de gros sous ou d’ego, certainement. L’histoire est la même chez Google, encore lui, où les tentatives d’embarquement de Google Maps ont été vaines, le site se bloquant de lui-même.

S’adapter : le cas Twitter

Toutefois, la majorité de ces applications, tierces ou officielles, n’ont été à la hauteur de leurs équivalents sur iOS et Android. Souvent, les applications officielles n’ont été qu’un portage unique, un one shot réalisé par un ou deux développeurs, laissé en plan ensuite. Parmi les applications ayant subi de vraies mises à jour durant leur période de vie post-2016 : Slack, qui faisait du très bon travail, WhatsApp, jusqu'à aujourd’hui. Avant eux, Spotify ou Twitter développaient leurs applications jusqu'à la moitié de la décennie, avant de la lâcher, la laissant comme elle était en l'état.

Twitter en est un cas d'école, et celui que j’ai pu voir quotidiennement durant ces dernières années : en 2014, Twitter pour Windows Phone était une très bonne application, qui suffisait aux besoins d'écriture, de lecture, d’abonnements, de Tweets ou de messages privés, voire de modification de bio, de listes, etc. Elle était même précurseure en plusieurs points, notamment le thème sombre, arrivé bien des années plus tard sur les deux autres systèmes d’exploitation.

Puis l’entreprise a plus ou moins arrêté le développement de l’application, laissée tel quelle. À l’heure où le monde a regretté les favoris, remplacés par de simples cœurs, mon mobile avait toujours les étoiles plein les yeux. À l'époque où Twitter ait passé aux 280 caractères, Twitter pour Windows Phone restait bloqué à 140 ; pire, les Tweets de plus de 140 caractères étaient tronqués, suivi d’un lien vers le Tweet pour l’ouvrir sur le navigateur. Puis les Tendances ne fonctionnaient plus, et les groupes de messages privés ne sont jamais apparus.

L'application Twitter pour Windows Phone, en 2015, 2017, puis en 2018 à sa mort. La troisième image représente Twitter Lite, la version Web de Twitter ayant vécu jusqu'en 2018.

L'application Twitter pour Windows Phone, en 2015, 2017, puis en 2018 à sa mort. La troisième image représente Twitter Lite, la version Web de Twitter ayant vécu jusqu'en 2018.

En 2018, à l’occasion de la sortie de leur PWA* Une Progressive Web App est une application consistant en un simple portage amélioré et optimisé du site Web optimisé. remplaçant l’application pour Windows 10, Twitter coupe définitivement les accès de son application tierce, en prévenant la veille. Pour les personnes sous Windows Phone 8.1, seule solution : utiliser la version mobile, Twitter Lite (cf. troisième image), également utilisée dans les pays d’Afrique où les données mobiles sont limitées.

À chaque fois pourtant, j’ai vécu ces changements, m’y suis habitué et m’en suis même vanté. Je suis nostalgique des favoris, un peu moins des 140 caractères, mais le grand écart entre la version web et TweetDeck qui étaient mis à jour en temps réel, et la version pour Windows Phone, me provoquait un peu de nostalgie, voire de fierté de conserver l’ancienne application, comme archive. Certes, il a été problématique de devoir toujours cliquer sur un lien pour afficher des Tweets, ou de limiter son expression à 117 caractères lorsqu’un Tweet comportait une image*, mais la contrainte développe la créativité… et jamais je n’ai pensé changer. Jusqu’en mai 2016, une image était comptée comme un lien sur Twitter (celui-ci était d’ailleurs affiché!), prenant ainsi 23 caractères comme tout lien.

Lorsque Twitter a fermé son application mobile, je n’ai eu d’autre choix que de me déporter sur la version web, que j’utilise toujours. Les habitudes étant des habitudes ; même si Twitter a relancé son application mobile (qui n’est donc que le portage du site), je reste encore sur la version web… qui ne devrait pas être arrêtée, elle.


Le cas de Twitter n’est qu’un exemple parmi tout un lot d’adaptations que j’ai dû subir durant ces dernières années : à l'époque de Skype, avant sa disparition sur Windows Phone 8.1, je ne pouvais voir stickers et autres nouveautés disponibles sur les versions mobiles. J’ai été habitué à une interface minimaliste de l’application Waze, qui m’affiche encore l’endroit précis des radars, à tel point que je ne supporte pas la complexité de la version sur Android. Et je ne m'énerve pas (ou presque) lorsque certains sites Web sont inaccessibles sur mon mobile, à cause souvent de la fenêtre de consentement des cookies, ou d’une feuille blanche s’affichant après le chargement de la page (Reddit, WolframAlpha, je vous vois).

De la lutte contre l’obsolescence logicielle

Je conçois tout à fait que certaines applications perdent peu à peu leurs fonctionnalités, en raison de modifications dans les API, les clefs qui servent à accéder aux bases de données des services, ou de la non-mise à jour pour y inclure des fonctionnalités, comme l’a été l’application Twitter durant des années.

En revanche, la mise à mort volontaire d’applications, sans autre alternative que « racheter un téléphone » est un non-sens et une chose à combattre. Cela ne concerne pas que les Windows Phone : anciennes versions d’iOS et d’Android subissent parfois le même sort, avec des applications volontairement bloquées dans le seul but « de recentrer les efforts sur les versions les plus récentes ». Quid des utilisateurs ?

WhatsApp en est l’exemple le plus parlant : l’application s’arrête du jour au lendemain (même si les utilisateurs ont été prévenus il y a huit mois), alors qu’elle fonctionnait encore parfaitement la veille. Quel est l’intérêt ?

Le message de fin de service de WhatsApp.

On peut entendre les arguments de sécurité, mais il est idiot de dire à des personnes n’ayant rien fait que leur téléphone est tout simplement « trop vieux ». Cette obsolescence logicielle ne fait que participer à la réduction des cycles de vie de nos appareils électroniques : alors que nombreux sont les iPhone 4, Android 3 ou Windows Phone 8 à fonctionner encore, les éditeurs et fabricants préfèrent couper l’herbe sous le pied des personnes souhaitant utiliser leur ancien téléphone, en les incitant à en racheter un autre… qui sera lui aussi rendu inactif dans quelques années. Une course effrénée à la nouveauté, alors que l’ancien est encore fonctionnel. Certes, la compatibilité ascendante n’est pas demandée, et on comprendra tout à fait que les éditeurs ne souhaitent mettre à jour des applications qui datent d’il y a des années ; mais à l’instar de la suppression de liens pour faire de la place, il est bête de supprimer un service fonctionnel pour s'économiser des ressources que l’on ne mettrait jamais. À l’heure de la société de déconsommation, il vaudrait mieux lutter contre ces habitudes de provoquer la mort prématurée de nombreux logiciels, que l’on peut inclure dans l’obsolescence programmée…

WhatsApp n’est pas le seul exemple : Voyages SNCF a supprimé son application pour Windows Phone lors de sa transformation en oui.sncf ; Spotify a coupé les ponts de la recherche dans son application Windows Phone ; même Microsoft avait joué à ce jeu, en coupant Skype pour Windows Phone 8.1 à la faveur d’un changement de philosophie logicielle. Facebook n’en est lui pas à son coup d’essai : les applications Instagram et Facebook auraient toutes deux cessé de fonctionner en avril dernier, après un mois de préavis*. À la différence qu’ici, la version web fonctionne encore. Un message indiquant que Instagram pour Windows Phone ne serait plus disponible après le 30 avril.

Malgré toutes les piques qui sont lancées par les différents éditeurs, je continue d’utiliser mon Windows Phone. Et même si j’utilisais beaucoup WhatsApp pour communiquer avec des personnes étrangères de ma promotion, je ne compte toujours pas changer de téléphone. Pour ceux qui seraient concernés par ce changement, une version patchée de WhatsApp est disponible sur Reddit, supprimant ce blocage — attention toutefois aux risques potentiels de porte dérobée ou de piratage que ce genre d’opérations peut faire risquer. Pour ma part, j’ai dit adieu à WhatsApp (et tant mieux!), et suis passé sur Telegram, une messagerie plus sûre mais tout aussi gratuite. Cela me fait au moins une bonne raison de convaincre mes amis d’y passer aussi…

Photographie d'Adrien
AdrienTwitter
Amateur.
De l'impact d'avoir un Windows Phone