Le camp des réfugiés des covid-sceptiques
Commençons par là où ça fait mal : j’ai été testé ce mercredi positif à la COVID–19, et suis à l’isolement pour une dizaine de jours… et ce, malgré un test négatif le mercredi précédent. M'étantdéjà isolé chez moi ces dix derniers jours, je connais d’emblée l’origine de ma contamination : un voyage à Stockholm il y a deux semaines de celà, premier séjour dans la capitale, et première escapade que je m’autorise depuis trois mois. Je ne peux qu’en vouloir à moi-même : il est certain qu’il n'était pas responsable de visiter la capitale à l’heure où la Suède est désormais le pays d’Europe à avoir le plus de contaminations de Covid, à l’heure aussi où les recommandations nationales sont, depuis novembre déjà, de ne pas voir d’autres gens que sa famille. Malgré cela, j’ai pris le parti de me rendre à Stockholm à la mi-avril, avec deux arrières-pensées : celle que j’irai dans tous les cas découvrir la capitale de la Suède d’ici la fin juin… et qu’il vaut mieux partir maintenant où il n’y a aucun touriste, plutôt qu’en juin où les rues risquent d'être plus bondées, alors qu’il n’est pas certain que la situation sanitaire se soit améliorée en Suède — qui est sur un plateau depuis le mois de janvier !
Ainsi, cette contamination est effectivement de ma seule faute, même si je ne regrette pas y être allé, en respectant au plus possible les gestes barrières : distanciation physique, port du masque dans les transports en commun (alors que même pas un quart des gens en portaient, n'étant pas obligatoire ici !) ainsi que dans les musées, visite des commerces et espaces supposément peuplés à des heures déraisonnables mais pas de pointe. Malgré cela, un endroit a été le cœur de mes préoccupations durant ce séjour : mon hébergement. Pour des raisons d'économie, j’ai fait le choix de ne pas prendre une chambre dans un hôtel, ce qui serait revenu à au moins soixante euros la nuit. À la place, j’ai pris un lit… dans un dortoir d’une auberge de jeunesse, recommandée dans mon guide de voyage Lonely Planet : le City Backpackers Hostel Stockholm. Une auberge dans le classement des Europe’s famous hostels, parmi les coups de cœur de mon guide qui la décrit ainsi :
Auberge de jeunesse la plus proche de la Centralstationen [la gare centrale, NDLR]. Chambres propres, personnel accueillant et location de vélos. L’auberge compte également un sauna, une laverie et une cuisine (pâtes à disposition). Des chambres ave salle de bains sont aussi proposées. Deux dortoirs, de quatre et de huit, sont réservés aux femmes, et un sèche-cheveux est disponible à la réception.
J’ai donc pris un lit dans un dortoir de huit (où nous ne serons que six) dans cette auberge pour quatre nuits, mon objectif étant de découvrir la capitale et son archipel durant cinq journées. La suite… est très positive.
Une auberge… pour la jeunesse
Étant arrivé tard le premier jour, ce n’est que le lendemain soir que je me rends compte du monde dans l’auberge. Une personne se propose pour me faire une visite des lieux, et les gens se parlaient comme s’ils se connaissaient depuis des semaines. J’avais été à Göteborg, deuxième ville du pays, dans une auberge de jeunesse similaire début janvier, et nous n’avions été qu’une dizaine de personnes dans l’ensemble hôtelier, ce qui permettait très largement de respecter les recommandations sanitaires. Mon auberge… est tout l’opposé. Dans la cuisine, une quinzaine de personnes prépare à manger ou dîne, et autant se repose dans le salon. Ma chambre, de huit lits, comporte six personnes. L’armoire à chaussures… est pleine à craquer. Le City Backpackers Hostel passe la crise du Covid mieux que prévu.
Ce soir-là, pendant que je cuisine, les gens applaudissent un membre qui dit au revoir, quittant l’auberge après… deux mois restés ici. La plupart des gens ont l’air de le connaître, de se connaître. Autour de ma salade de pâtes, je discute avec des gens dans la résidence. Certains sont là depuis une, deux semaines, d’autres depuis un ou deux mois. Parmi eux sont présents un habitant de Géorgie, un Espagnol, une Italienne, pas mal d’Allemands… et beaucoup de Français, qui, comme j’ai pu tristement le constater durant ces huit mois en Erasmus pour l’instant, restent souvent ensemble.
Une discussion m’intrigue. Un gus souhaite contacter le 1177, le numéro des non-urgences suédoises… pour se faire tester contre le coronavirus. Je n’y prête d’abord pas très attention, puis la discussion continue… dans ma chambre, où cet Allemand, que j’appellerai Lukas, continue la discussion avec une Française. J’y apprends qu’une personne, parti depuis, a été testée positive plus tôt dans la semaine. Personne n’a été testé ou ne souhaite se faire tester… sauf Lukas, qui a déjeuné avec cet ami, et ne souhaite pas infecter d’autres personnes. Les personnes de l’auberge le découragent de se faire tester, jugeant celà inutile, voire dangereux.
« Non mais c’est fini, tout le monde va l’avoir ! »
— La Française de ma chambre
L’auberge des fuyards du Covid
Lukas insiste et va se faire tester le lendemain, s’isolant en attendant. Durant la soirée, je sympathise et nous discutons autour de la stratégie de gestion de la pandémie en Suède… pendant que des gens vont le voir et s'étonnent toujours de sa décision de vouloir se faire tester, et de s’isoler en attendant. Il n’a pas de symptômes, n’est pas malade, est jeune et a déjà eu le Covid l’an dernier. Mais non, il s’isole… car même s’il s’en fiche d’avoir le Covid, il « ne souhaite pas infecter d’autres personnes. par responsabilité ». Argument balayé par le Géorgien qui dort juste sous mon lit :
« Si les gens ne voulaient pas le choper, ils n’avaient qu'à prendre un hôtel. »
Les menaces de Covid ne font rien à l’auberge. Pas de quarantaine, pas de masque : le Covid n’existe pas.
C’est là que j’ai compris où est-ce que je suis tombé. En février dernier, j’avais lu un article du Courrier International, dénommé « L’auberge suédoise des fuyards du Covid », et qui racontait justement une auberge de jeunesse de Stockholm qui servait de camp de réfugiés pour les jeunes de toute l’Europe, souhaitant s’affranchir des confinements et couvre-feux gagnant l’Europe, et vivre une vie sans restrictions sanitaires. La Suède a toujours fait le choix de ne prodiguer que des recommandations, et n’a quasiment rien fermé ou imposé : le paradis pour de nombreux Européens qui vivent depuis des mois sous le joug des restrictions liées à la pandémie. Peu de négationnistes du Covid… mais des jeunes, des trentenaires aussi, qui veulent profiter de leur jeunesse et ne pas vivre un an en pandémie. Fuir les conséquences du Covid, en quelque sorte.
Sauf que cette auberge… c’est celle où je suis. J’avais oublié que l’auberge citée dans l’article était le City Backpackers Hostel de Stockholm. Dans le hall de la réception, une affiche remercie « les réfugiés du City Backpackers Hostel ». L’auberge des fuyards du Covid.
Le corona se propage
Cela se confirme en en discutant avec les gens de l’auberge. Lukas est justement parti à Stockholm il y a trois semaines de celà, fuyant les mesures hyper restrictives de Berlin (qui impose, entre autres, un test quotidien pour accéder aux commerces non essentiels) alors que ses cours resteront en ligne jusqu'à la fin de l’année universitaire. Un Colombien a rejoint l’auberge il y a quelques mois pour travailler dans un bar-restaurant en Suède, et ne pas à avoir à porter un masque toute la journée. Des Français sont là pour juste profiter de la vie et éviter le couvre-feu alors à 18 h, et le confinement actuel. Pour tous ces gens, la vie à Stockholm n’est pas immensément plus chère qu’en France. Une nuit en dortoir coûte ici moins de vingt euros. L’hébergement dans la capitale suédoise, avec tous les services compris dans l’auberge (électricité, cuisine, pâtes illimitées, café, thé, ordinateurs, wifi…) revient ainsi à près de 600 € par mois, soit le loyer que l’on pourrait payer pour un studio ici, sensiblement similaire aux loyers étudiants d’autres grandes villes.
Me voilà donc légèrement paniqué dans cette joyeuse ambiance de colonie de vacances. Une colonie de vacances dans un pays qui compte le plus haut taux de cas de Covid d’Europe, à l’heure où les autres pays se sont rereconfinés. Et là que peut se justifier le paradoxe suédois :
🇸🇪 Le paradoxe suédois : tx d'incidence 770 cas/100 000 hab sur 14 jours selon l'ECDC (devant la Fr à 762), soit un des tx les + élevés d'Europe; mais une des mortalités la + faible avec 15 décès/100 000 hab (61 en Fr). Seuls les 4 Nordiques font mieux. https://t.co/rCWvZ0OYbQ
— AnneFrancoise Hivert (@afhivert) April 19, 2021
La Suède possède le plus haut taux de contamination d’Europe, mais un très faible nombre de morts dus au Covid — 20 par semaine, depuis février. La faute, possible, à une hyper contamination des jeunes. Le télétravail est de rigueur depuis un an, les facs sont fermées depuis novembre… mais toujours pas de masque imposé, les bars et restaurants sont ouverts, et surtout aucune restriction de la liberté de mouvement. Un pain béni pour la propagation du virus chez les jeunes.
Dans l’auberge, on s’en fout un peu du Covid. Les gens sont là pour ne pas y penser, et le port du masque est très rare, même pour les employés. La Française de ma chambre m’affirme :
« De toute façon, je crois qu’ici on est tous immunisés déjà. »
Ce vendredi soir, Lukas a les résultats de son test : négatif. Il part en soirée avec les autres gens de l’auberge. Inimagineable en France : je suis seul dans l’auberge, toutes les autres personnes étant parties en soirée dans la ville. Certes, les bars et restaurants ont fermé à 20 h 30, comme la loi pandémique l’impose depuis plusieurs mois déjà. Mais rien n’empêche de se retrouver dehors ou dans un parc, et de profiter de la soirée.
Résidence de covidosceptiques
En ce dernier jour de visite à Stockholm, je pars en rando avec Lukas. Durant le trajet, il m’explique et s'étonne de l’absence de considération pour le Covid au sein de l’auberge. Oui, il a fui la capitale allemande afin de s'éloigner des restrictions sanitaires « invivables » et afin de profiter de la période pour voyager et découvrir du pays. À vrai dire, ce n’est même pas la première fois qu’il vient dans cet hébergement — il était déjà venu en octobre, alors que la seconde vague déferlait sur l’Europe. Mais il ne peut que s'étonner de ce jemenfoutisme éhonté de la part des résidents de l’auberge, qui veulent simplement vivre leur vie de manière « égoïste ».
« Il y a un entre-deux entre aller dans un pays aux restrictions sanitaires moindres, et faire comme si le virus n’existait pas ! »
À la lecture de cet article, beaucoup sourieront jaune et trouveront l’attitude de Lukas déraisonnable, et également égoïste. Il est vrai. Tout comme ma volonté de voyager à Stockholm en pleine pandémie est une attitude que l’on pourrait totalement juger irresponsable. La vérité suédoise est différente.
Entre ces deux visites, Lukas a pu constater un important changement au sein de l’auberge : en octobre, l’auberge de jeunesse était encore selon lui composée majoritairement de touristes, qui venaient là alors que les restrictions sanitaires étaient encore bien moindres dans leurs pays. Les gens gardaient encore en tête le Covid — mais ne portaient pas de masque pour autant, je vous rassure, nous sommes en Suède. Depuis, il remarque que la population a bien évolué, et que l’auberge s’est peuplée de gens restés ici pour plusieurs semaines ou mois, afin juste de vivre leur vie… loin des restrictions de leur pays. La plupart ne vont pas visiter Stockholm comme moi, mais juste y vivre comme s’ils y étaient installés depuis des lustres, dans cette grande capitale cosmopolite du nord de l’Europe.
Surtout, pour Lukas, les habitants de cet hostel sont de plus en plus des covid-sceptiques, des personnes qui auront tendance à minorer les conséquences d’une infection au coronavirus, ou à juger que l’on en fait trop. Parfois au sein-même du staff de l’auberge.
« À quoi ça sert de te faire tester ? Imagine, tu es positif ? »— Un résident de l’auberge
Conclusion… je suis positif
Voyons le côté positif. Le guide Lonely Planet ne m’a pas menti : le City Backpackers Hostel est une super auberge de jeunesse. Les locaux sont spatieux, les salles conviviales, l’effort est fourni sur la présentation et la convivialité. L’auberge est un endroit cosmopolite, international, où se mélangent pêle-mêle des jeunes là pour quelques temps et des touristes faisant des passages éclair ; le tout dans une atmosphère chaleureuse, dans laquelle on découvre, on apprend des autres, et où se forment des amitiés multiculturelles… Un cadre ultraconvivial, très positif. Le seul problème… c’est que cela reste le cas en pleine pandémie mondiale.
L’auberge ne fait rien d’illégal : en Suède, les hôtels, auberges, etc. peuvent rester ouverts et accueillir tout un chacun. Les aides de l'État dans ce cas sont donc presque inexistantes, à part le chômage partiel. En hébergeant des Européens partis délibérément de leur pays pour éviter les restrictions des libertés, l’auberge fait tourner ainsi son activité et passe un peu mieux la crise que d’autres établissements, qui auraient pu mettre la clé sous la porte. La seule consigne de rester chez soi en cas de symptômes les dédouane aussi de tout manquement : du gel hydroalcoolique est disponible à tous les étages, et l’aération dans les chambres est relativement imposante.
La faute est donc mienne, et celles plus globale de ces jeunes qui ont quitté leur ville d’origine pour voyager ou séjourner à Stockholm durant la pandémie. Je pensais que peu de gens voyageraient durant la crise. Il s’avère que oui, en tant que touriste — les rues de la ville, les monuments touristiques, les musées étaient vides au possible ! — mais non en tant que voyageurs, comme j’ai pu le constater en partance de Laponie, où le train de nuit était rempli de Français et d’Allemands, en Erasmus en Suède… ou non.
Résultat des courses : malgré mes attentions prises dans la ville-même, malgré l’achat et le port d’un masque FFP2 (à cinq euros en Suède…) lorsque j’ai appris cette histoire… j’ai été contaminé par le coronavirus, vraisemblablement dans le City Backpackers Hostel, durant mon premier et seul dîner dans les parties communes, ou lors des quatre nuits dans le dortoir. Me voilà à l’isolement pour une dizaine de jours supplémentaires… ce qui fera au total trois semaines de quarantaine, après cinq jours passés dans la capitale. Pas la meilleure idée de l’histoire 😬
Point positif, s’il en faut un… je n’aurai pas à payer deux à trois cents euros ici pour un test PCR avant mon retour en France…