Les frais de l’infortune

Être mineur à la fac

Est-ce le parcours du combattant ?

Il y a bien des années que j’attendais ce moment. Tout au long de la scolarité, dès le collège souvent, on nous parle de « l’Université » qui nous attend à la fin du cursus. De ces longues études qui nous attendent, alors que l’on n’a même pas passé le brevet. Durant des années, au collège comme au lycée, on nous parle de cet avenir d'études spécifiques, d’où vient cette nécessité de savoir dès maintenant ce que l’on veut plus tard. On nous dit qu’après le bac, c’est la fac (ou plus pour les téméraires). Pour deux à huit années de travail supplémentaires.
Durant toute cette période, on a le temps de voir venir la fac. D’y songer. De s’y préparer. Puis vient l’année de Terminale, où on doit aussi se confronter à des arguments plus terre-à-terre, comme le logement, le financement. Et la vie d'étudiant.

L’idée de devoir penser à tout ceci alors que l’on est encore dans son « cocon familial » inquiète déjà beaucoup de lycéens — et surtout de parents, réfléchissant déjà aux considérations financières et à la séparation physique qu’il va y avoir avec leur progéniture. Il y a aussi les questions plus techniques, sur la gestion du loyer, des bourses, de l’argent que donneront — ou non — les parents. Et des imprévus, beaucoup d’imprévus, qui arriveront durant l’année, et qui contraindront souvent les futurs étudiants à travailler, durant les congés universitaires, voire parfois en même temps que leurs études, dans un resto ou, maintenant, à vélo.

Mais quand à tous ces soucis, s’ajoute l'âge, et le fait d’avoir sauté une classe ou d'être né en fin d’année, cela devient stressant. Comment s’organiser la vie d’un étudiant ayant moins de 18 ans ? Être mineur à la fac, est-ce si différent ?
Je me suis posé ces questions, avec pas mal d’anxiété et beaucoup d’appréhension, durant les mois qui ont précédé mon entrée à la faculté Image d'illustration Le début d’une nouvelle ère. Les rentrées ne sont jamais ordinaires, mais celle-ci est unique : mon premier jour à l’université de Bordeaux. . Ayant sauté une classe au début de ma scolarité, j’ai eu mon baccalauréat à 16 ans, et suis entré à l’université sur le coup de mes 17. En clair : j’ai passé toute ma première année sous le prisme de la minorité. Et au final, ce n'était pas si différent que ça.

L’administratif : un papier de plus

La première inquiétude que j’avais, petit, était sur ma possibilité même de m’inscrire à l’université en étant mineur. Sachant que j’avais sauté une classe, je me suis longtemps posé cette question, à savoir si j'étais contraint ou non de faire une année sabatique… Puis, l'âge aidant, ces interrogations se sont transformées en questions pratiques, sur l’inscription à la fac notamment. Théoriquement, je ne suis pas encore responsable de moi-même, or mes parents ne pourront rien signer pour moi à l’Université !

Ainsi, je n'étais pas surpris lorsque la faculté a demandé une autorisation parentale pour mon inscription à l’université. Problème, le document en question est introuvable sur Internet ou sur le site de la fac… J’ai tout de même réussi à me le procurer, mais l’an dernier ; au final, le mieux est de le rédiger sur papier libre.

L'autorisation d'inscription à l'université de Bordeaux, trouvée sur un site Internet l'an dernier, indisponible depuis.

Et puis… c’est tout.
Ce maigre papier signé a été le seul document, la seule paperasse, voire la seule particularité que j’aurais eu vis-à-vis de la fac cette année. Durant toute l’année, et notamment sur les questions administratives et/ou électives, j’ai été considéré comme un étudiant à part entière, et ma signature a été valable et prise par toutes les entités universitaires et étudiantes. Pour les partiels, pour le choix de mes UEs… mes parents n’ont pas à faire signer mon bulletin de notes ou un papier vis-à-vis de mes choix étudiants, et — il faut l’avouer — cela fait plaisir.

S’intégrer à la fac ?

Là où cela allait se révéler potentiellement plus compliqué, c'était pour s’intégrer au milieu des autres, ayant 18, 19, voire 20 ans. Comment allais-je faire au milieu de ces vieux ayant connu le second millénaire ?

Si vous avez suivi mes premiers articles Image d'illustration Ne pas être à sa place Problèmes d’emploi du temps, groupes de classe qui volent, profs qui changent entre deux cours : la première semaine à la fac fait douter. sur ma vie à la fac, vous connaissez probablement déjà la réponse : oui, cela s’est bien passé. J’ai au contraire été l’un des premiers à déglacer l’atmosphère lors du jour de rentrée Image d'illustration Être jeté dans le bain Groupe de classe, habitudes à prendre, numéros des salles : tout est à apprendre, lors du premier jour de cours à la faculté. … Car au final, l’intégration à la fac ne dépend pas réellement de l'âge, mais de la personnalité de chacun. En L1, la majorité des étudiants sortent de l’année de terminale, et découvrent la vie étudiante en même temps que les autres. Les jeunes de 17, 18 ou 19 ans sont tous mis dans le même bain, et au final, peu de gens voire personne ne connaît l'âge de chacun dans les premiers jours de l’année. Puis se noueront les relations, autour d’intérêts communs, de problèmes de faculté… mais sans distinction lié au jeunisme — le contraire apparaît plus souvent…

Une fois les premières semaines passées, le plus dur commence peut-être — ou non —, avec l’intégration dans et par les soirées étudiantes. Là, les différents bars devraient requérir un âge minimum de dix-huit ans, afin de pouvoir proposer des boissons alcoolisées… mais dans la pratique, et surtout en groupe d'étudiants, peu vérifient réellement l'âge, les étudiants mineurs n'étant que peu nombreux globalement. L’intégration se fait naturellement, dans les soirées, contresoirées, amitiés, groupes Facebook, Messenger et/ou Whatsapp, sans vraiment tenir compte de l'âge.

Ou du moins, si l'écart n’est pas trop grand. Les rares prodiges sortant du lycée à 15 ans trouveront probablement à redire… mais l’université peut leur accorder un traitement spécifique, pour éviter un isolement qui pourrait être fatal.

CROUS, bourses : la ruée vers l’or

Ainsi, la vie à l’Université-même n’est pas si différente entre les majeurs et les mineurs. Mais lorsque l’on parle d’argent, c’est tout de suite un peu plus compliqué.

En effet, pour toucher une bourse du CROUS* Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires. L’organisme public régional chargé du versement des bourses étudiantes et de la gestion des restaurants et logements étudiants. , il faut logiquement posséder un compte bancaire… à son nom. Or, en étant mineur, l’ouverture d’un compte courant est dépendante de l’autorisation des parents, qui ont droit de cité sur l’argent déposé. C’est ainsi que durant un an, mon compte a été « sous administration légale de » mon père. Théoriquement, il n’aurait néanmoins pas pu me prélever l’argent de mes bourses pour ses dépenses, car l’argent obtenu à partir de 16 ans est protégé. Enfin, théoriquement.
De plus, en étant mineur, certaines actions sont limitées, soit par la loi, mais le plus souvent par les banques. Impossible ainsi d’avoir un chéquier à mon nom durant cette année, ni de faire des virements ; les paiements par carte et retraits d’espèces étaient les seules opérations que j’ai pu faire cette année avec mon compte bancaire. Idem pour le sans contact. En l’occurrence, ces restrictions sont causées par ma banque actuelle, car rien n’empêche légalement un mineur d’avoir un chéquier. Mais la plupart des banques ne veulent pas prendre ce risque…

Toutefois, d’un point de vue administratif, les mineurs sont tout à fait capables et ont le droit d’obtenir une bourse d'étude ou une aide au mérite* Les bacheliers ayant obtenu la mention très bien au baccalauréat, et ayant droit à une bourse du CROUS, bénéficient en plus d’une aide au mérite de 900 euros par an (sur 9 mois, soit 100 euros par an), renouvelables deux fois tant que celui-ci ne redouble pas. Pas de papier à remplir, l’aide est censée être automatiquement donnée à tous les boursiers. … mais également les aides au logement !
APL* [Allocation Personnalisée au Logement] ou ALS* [Allocation de Logement Sociale] ne sont ainsi pas réservées aux majeurs, et les étudiants, mineurs notamment, peuvent en profiter pleinement ! Attention cependant, un jeune qui demande personnellement des aides à la CAF n’est plus rattaché à ses parents ! C’est ainsi que lorsque j’ai demandé à toucher l’ALS, mes parents ont perdu les allocations familiales, car je ne leur étais plus rattaché. Il y a donc tout un calcul à faire pour déterminer s’il est intéressant de toucher les APL au détriment d’aides parentales, ou non : il faut s'éviter de mauvaises surprises ! Plus d’informations sur les différentes aides au logement de la Caisse d’Allocation Familiale sur leur site. Celles-ci sont à demander plusieurs mois avant !

Le plus dur… la vie

Mais ces petits tracas de pré-rentrée ne sont pas grand chose face à la difficulté d'être autonome, surtout quand on est mineur.

Le logement est un exemple typique : les mineurs n’ont pas le droit de signer le bail de leur logement, qui doivent être au nom des responsables légaux. C’est ainsi que l’on peut se considérer comme privilégiés, car les mineurs n’ont pas la capacité juridique d’assurer le logement, assurance qui devra être payée par les parents ou autres responsables légaux. Néanmoins, les quittances de loyer peuvent être au nom de et payées par le mineur — condition d’ailleurs à l’obtention d’aides —… si celui-ci a la possibilité technique de les payer, ce qui n’est pas toujours le cas (impossibilité de faire des virements, plafond de retrait d’espèces trop bas…)

D’autres dépenses sont également à la charge des responsables légaux en étant mineur, comme l’assurance scolaire (même si elle devrait plus s’appeler étudiante, dans ce cas-là), les frais d’une éventuelle complémentaire santé… Les mineurs ont un peu de moins de frais à ce niveau, et de soucis à gérer.

A contrario, il y a également des choses bien pratiques que l’on ne peut pas faire ; et la première d’entre elles est bien évidemment la conduite. Les grandes villes sont certes bien peuplées en transports en commun, mais pour ceux qui habitent en extérieur des périphéries, aller à la fac peut se révéler un casse-tête sans le permis. Trajet partagé avec les parents ou la famille, covoiturage, voire habitation sur place… le coût et le temps d’un transport alternatif n’est absolument pas à négliger lorsque l’on entre à la fac, jouant grandement dans la réussite des étudiants.

Autre problème, même si l’on peut voir ça comme un avantage : de nombreuses entreprises refusent les mineurs pour leurs boulots. Certes, durant les études, et beaucoup l’oublient, les parents sont censés subvenir aux besoins financiers de leurs enfants ; mais de l’expérience (et de l’argent supplémentaire) peuvent être bons à prendre, durant les congés universitaires, voire durant les études… Les campagnards peuvent « travailler au champ » comme on dit par chez nous, mais en ville, la plupart des emplois étudiants sont des jobs d’hôtesse de caisse, en supermarché ou en enseigne de restauration rapide, qui n’acceptent que des majeurs car manipulant beaucoup d’argent. Il reste néanmoins plusieurs solutions, comme le babysitting… quoique cocasse pour un enfant.

Attention : tout n’est pas réservé aux majeurs ! J’ai notamment eu la désagréable surprise de me faire refuser un dépôt de plainte, sous prétexte que j'étais mineur, et donc que mes responsables légaux devraient la faire pour moi. En l’occurrence, ceux-ci ne doivent être impliqués que dans les procédures pénales, si la plainte suit son cours, mais un mineur est tout à fait en droit de porter plainte en France, ce qu’il avait fallu rappeler, site du Ministère à l’appui, aux officiers de police judiciaire…


C’est pour cela que globalement, la vie d’un étudiant en étant mineur peut se révéler un peu plus compliquée que celle d’un majeur ; mais ces difficultés sont à relativiser. Ayant passé un an plein à être mineur à la fac, j’ai vite oublié la plupart des contraintes induites, qui n'étaient pour moi que des futilités. Certes, j’aurais bien aimé avoir le NFC sur ma carte bancaire… mais ce n’est qu’un petit souci.

Une fois devenu majeur, ces problèmes restent — du moins tant que je n’ai pas changé de bail ou de banque… même si certains vautours n’hésitent pas à venir directement proposer des prêts étudiants et autres contrats pour profiter de la jeunesse de certains.

Et l'émancipation dans tout ça ?

Pour éviter certains problèmes, la solution peut être une procédure d'émancipation. Possible à partir des seize ans, elle permet de bénéficier de la « capacité juridique » de faire des contrats, etc., comme un majeur, et d'être responsable de ses actes, et plus les parents. Celle-ci doit être demandée par les parents (ou responsables légaux), et peut prendre plusieurs mois.

Si et une fois accordée, l'émancipation permet au mineur désormais responsable de signer son bail, de travailler à son compte, d’avoir son compte bancaire pour lui seul… Nombre de soucis qui ne nécessitent plus de signature des « responsables légaux ».

Ce que permet l'Émancipation Ce que ne permet pas l'Émancipation
Signer un bail d’habitation Se marier ou établir un PACS
Signer un contrat de travail Être commerçant
Être responsable de son compte bancaire Voter
Contracter un prêt Conduire
Choisir son orientation professionnelle Entrer dans un casino

De plus, l'émancipation n’enlève pas l’obligation par les parents de subvenir aux besoins de l’enfant. Il faudra toujours l’aider, mais sans pouvoir profiter de l’autorité parentale, qui disparaît. Les assurances peuvent également toujours refuser de souscrire un contrat avec un mineur, même émancipé ; auquel cas les parents devront toujours le souscrire pour lui.

Personnellement, et malgré le fait que j’avais une année complète à faire en étant mineur, je ne me suis pas émancipé, car cela serait une perte de temps, pour au final des avantages réduits. Certes, le bail du logement est au nom de mes parents… mais ce n’est pas réellement un problème avec mes propriétaires.

L'émancipation peut toutefois se révéler utile pour des jeunes de 16 ans qui ont besoin d’une grande indépendance, notamment ceux qui emménagent à l'étranger ou loin de leur habitat. Cela permettra alors d'être réellement indépendant, sans avoir besoin de rendre des comptes aux responsables légaux, qui seront loin et ne pourront signer tel ou tel document pour soi…


Mineur·e·s, ou nouvellement majeur·e·s, n’hésitez pas à évoquer votre cas. Des quelques amis mineurs que je connais, à la fac ou sur les Internets, aucun n’a réellement eu de problèmes conséquents à leur irresponsabilité juridique ; peut-être certains me contrediront…

Si vous avez lu cet article alors que vous vous apprêtez à entrer à l’université, d’une, bienvenue ! ; et de deux, n’hésitez pas à lire mon ressenti sur les premiers jours en tant qu'étudiant, dans cette série consacrée à ma vie à la fac. De quoi vous faire potentiellement déstresser avant la rentrée ! :)

Photographie d'Adrien
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