Le début d’une nouvelle ère.
Les rentrées ne sont jamais ordinaires. Sans conteste, la plus difficile reste la première de sa vie : l’entrée en maternelle est toujours un moment d’angoisse, de panique ; on ne conçoit pas l’idée de ne plus être proche des parents, de devoir travailler, peut-être, et surtout d’être au milieu d’inconnus. Ces craintes, on peut les généraliser à toutes les rentrées. Certes, il y a des septembres qui sont moins spéciaux que d’autres, comme celui du passage de la cinquième à la quatrième, ou du CM1 au CM2, mais chaque rentrée est unique : l’entrée en seconde, arrivée dans un espace de liberté qu’est le lycée ; le passage en terminale, dernière année de sa scolarité… chaque année, les cartes peuvent être rebattues, il faut se familiariser avec de nouvelles têtes, on peut tomber dans un nouveau groupe, et parfois dans un autre établissement, avec lequel il faudra prendre ses marques.
Puis arrive l’université.
Aller à l’université, c’est comme reprendre la boucle. La rentrée universitaire ressemble à s’y méprendre à la rentrée en maternelle : adieu les parents, adieu la flemme, adieu le confort d’être dans une classe que l’on peut connaître. L’université est une toute autre chose que les établissements scolaires : ici, on n’apprend pas à être indépendant — on doit être indépendant. Se gérer tout seul, après 17 à 19 ans dans le cocon familial. Le tout dans des effectifs beaucoup plus imposants que les classes de 36, parfois 42 élèves dans des lycées de 1 500 damnés.
Entrer à l’université, c’est se retrouver projeté dans « la cour des grands », une cour que l’on accuse souvent d’être dépersonnalisante : le gigantisme des salles, des classes, des effectifs — surtout en PACES — empêcherait l’entraide, réduirait l’étudiant à un numéro à qui on donne une note à la suite de longs examens dans des salles immenses et uniformes.
Mais l’université, c’est aussi le pays des libertés : tu pourrais faire ce que tu veux, t’absenter, dormir en cours, faire du sport comme tu veux, rejoindre de nombreuses associations, te syndiquer, et même — je l’ai appris l’an dernier — battre des pavés. Presque personne pour te surveiller, être derrière toi, te pousser ou te juger selon tes actes : tu es libre !
Alors, il y a forcément beaucoup d’appréhension, un mélange de crainte et d’excitation, à l’idée de rentrer dans cet édifice, dans ce monument, qu’est l’Université. Après une douzaine d’années dans l’enseignement scolaire public français, je vais voir enfin ce qui semble être la dernière allée vers la vie active : celle qui forge, qui conçoit, qui donne votre future qualification.
L’envie d’avoir amphi
La réunion de pré-rentrée pour tous les L1 a lieu ce vendredi 07 septembre à 9h30, dans trois grands amphis, pour partager les plus de 800 élèves qui composent mon portail. À l’université de Bordeaux, pas de L1 physique ou SVT : toutes les sciences passent par deux grands « portails », un semestre d’orientation composé d’une ribambelle de matières, comme un ensemble Mathématiques–Informatique–Sciences de l’Ingénieur–Physique–Chimie–Géosciences. Un semestre pour s’orienter, nous dit-on ; un semestre pour se réorienter, préféré-je dire.
En arrivant sur les lieux de la fac, un bon quart-d’heure avant l’amphi, je vois du monde. Beaucoup de monde. Aujourd’hui est la rentrée pour les L1, mais les L2, L3 en sciences ont déjà repris possession de leurs lieux depuis le début de la semaine, déjà. Des centaines d’étudiants parlent ainsi sur le parvis devant le bâtiment A22, celui des amphithéâtres de cours de licence, à Talence, près de Bordeaux.
Je recherche d’abord quelqu’un sur qui je pourrais “m’accrocher” : un ancien de la classe, un ami d’enfance, ne serait-ce qu’une connaissance. Nada, après avoir passé plusieurs minutes à faire le tour de l’esplanade. Je m’avance alors à l’intérieur, où encore plus de monde attend, regroupé autour de l’accueil, des portes d’amphi, et surtout, de la composition des groupes de Travaux Dirigés [TD]. Heureusement, depuis la veille, je connais mon groupe de TD ainsi que mon emploi du temps, à travers mon ENT, environnement numérique de travail. Ainsi, pas besoin d’attendre que la queue se vide à mon arrivée, dix minutes avant l’amphi, devant le tableau en liège où sont épinglés une dizaine de feuilles contenant les noms, prénoms et numéro de TD de chaque étudiant en MISIPCG (le nom du portail). Mais je jette tout de même un rapide coup-d’œil pour bien vérifier que je suis sur les listes — c’est le cas, contrairement à d’autres — , et surtout pour trouver d’éventuels ex de ma classe de Terminale. Bingo, il y en a trois, dont un qui est dans ma « série » : on ne sera certes pas dans le même groupe de TD (un groupe d’une quarantaine d’élèves), mais on se retrouvera à terme dans les amphis de 150.
J’entre — avec peine — et je m’installe donc seul au milieu de l’amphithéâtre, dans un des rangs à l’avant. Un rapide regard autour de moi, et je vois tout le monde sortir ou ayant sorti des feuilles, calepins, bloc-notes, et stylo, pour prendre des notes. Pas un seul ordinateur de toute la salle. C’est ma première et principale préoccupation de ma vie à la fac : ordinateur ou papier ? On voit tant et tant d’images d’amphithéâtres bondés de personnes pianotant sur leur clavier ce que l’enseignant-chercheur raconte au fil de son cours, ce qui avait semé le trouble en moi… En fin d’amphi, je demanderai tout de même à la maître de conférences, subtilement, si « même en amphi les gens écrivent manuscrit ». Réponse : « Évidemment ! ». Mais oui, c’était évident.
L’amphi allait commencer à l’heure pile, mais est très rapidement interrompu par de nouveaux étudiants qui entrent dans la salle, pleine. La maître de conférences, directrice d’étude, nous demande de faire la place, de nous serrer, pour que tout le monde rentre… avant de nous “rassurer” :
« Rassurez-vous, ça sera la dernière fois que vous serez autant… »
Sous-entendu pour nous dire que, d’expérience, pour le prochain amphi géant… certains seront déjà partis.
Présentation personnelle, (re)présentation du programme du portail, décryptage des codes de l’université, types des évaluations… le diapo défile, la prof déroule, les élèves découvrent.
J’y apprends la date des partiels — troisième semaine de janvier — , du mi-partiels — un partiel de mi-semestre — , qu’il y aura des TP notés ou même des contrôles surprises pour faire les notes validant les UE, unité d’enseignement (l’équivalent des matières) du semestre.
L’enseignante-chercheuse prend ensuite le temps d’expliquer les détails du tutorat, organisé par des élèves payés par la fac, du service d’enseignants-référents, géré par l’Université, et enfin la réorientation. Tout un service de la fac y est dédié, pour guider les élèves qui décrochent vers une sortie douce, leur trouver une meilleure formation qui leur conviendrait, pour éviter qu’ils sortent avec un simple bac, et les préparer le cas échéant à la vie active, en les aidant à rédiger des lettres de motivation, des CV, à trouver des stages (très bénéfiques pour être pris en BTS). La prof insiste bien sur le fait de ne pas abandonner de suite, l’amphi de réorientation ayant lieu à la fin octobre :
« L’objectif, c’est Parcoursup de l’année prochaine, pour avoir des plus pour vos dossiers l’an prochain. »
Plus tard, on apprendra que 35 % des étudiants ne finissent pas la première année de licence dans ma formation. Le chiffre peut surprendre, mais c’est moins que je pensais, où on m’avait pas exemple annoncé à Toulouse… 35 % de personnes qui passaient en L2.
Le temps passe, et l’amphi de rentrée continue. La prof nous parle de l’ENT, l’environnement numérique de travail où seront déposés tous les Moodles, des cours en ligne. Mais tous les cours ne sont pas en ligne, et certains sont à acheter « dès la sortie de l’amphi » à la reprographie. Également sur l’ENT, les emplois du temps… où les gens rient (jaune, probablement) en voyant qu’un groupe commence à 8h le lundi de la rentrée. Ils ne le savent pas encore, mais c’est en fait le cas de beaucoup.
La prof finit son monologue, puis viennent les gens du BVE, Bureau de la vie étudiante, qui viennent nous présenter l’Université de Bordeaux façon “vie de campus”. Et ça commence déjà fort, avec une vidéo pour nous faire la présentation… de l’Université dans laquelle nous sommes.
Puis ces gens bien intentionnés (une universitaire et un étudiant en deuxième année de master, accessoirement vice-président étudiant de la fac) entament une seconde présentation PowerPoint… qui commence bien :
« Bienvenu.e.s à l’Université de Bordeaux ! »
Là aussi défile une myriade d’informations que bon nombre d’entre nous n’auront pas tous retenues, moi le premier : des visites de campus après l’amphi, de nombreux stands d’« entreprises partenaires » à la sortie, les « étudiants relais campus » chargés de nous aider… À cela s’ajoute la liste des animations à venir pour accueillir les étudiants : Bordeaux fête ses étudiants par la Mairie, le festival Campulsations géré par le CROUS (dont on nous a évidemment parlé des RU et BU), ou Fête la rentrée !, une semaine d’événements organisés par l’université et le BVE. On nous y promet « pause café gratuite », « dégustation de produits du monde », « escape game » dans l’enceinte du dédale qu’est le bâtiment principal (faut en profiter, tant qu’on est nouveau…), et « câlins gratuits » pour ceux qui veulent — ce qui fait rire l’auditoire.
Après cette présentation, l’heure s’est écoulée : 11h00, l’amphi se clôture ainsi. Point. La journée est — théoriquement — terminée. Mais presque personne ne part immédiatement : la queue se (re)crée déjà pour voir ou revoir le numéro du groupe de TD de chacun, devant les panneaux en liège.
En quête de sens
J’avance dans le bâtiment qui regroupe tous les amphithéâtres de sciences. Devant le guichet de l’administration, une file s’est formée : ce sont essentiellement des personnes qui ne sont pas sur les listes. Certains n’ont pas validé leur inscription, d’autres… viennent d’arriver à Bordeaux, après une inscription tardive sur Parcoursup « Génération Test » La précédente saison de mon épopée : la vie de lycéens en Terminale à l’aube de Parcoursup. .
Une autre queue, beaucoup plus dense, vient jouxter la première : longue d’une trentaine de mètres, plus d’une centaine d’étudiants attendent à la reprographie pour acheter leurs « fascicules », ces livrets qui vont leur servir de cours pour tout le semestre. Soudain, j’entends : « Par ici la visite guidée, par ici ! » Une puissante voix cherche à se faire entendre au milieu du brouhaha généré par les étudiants qui attendent dans le hall. C’est un étudiant du BVE, qui organise, comme prévu, une visite guidée de cette zone du campus de l’université. Voulant éviter d’attendre inutilement pour les cahiers de cours, je rejoins le mini-troupeau qui se forme autour de lui. Nous sommes d’abord 20 à suivre la visite, mais très vite des étudiants en extérieur nous rejoignent, visiblement aussi un peu perdus par le site universitaire. Pourtant, cette partie n’est pas « si grande » que ça, mais à première vue, d’expérience la première fois où je suis venu sur les lieux — il y a huit mois, pour les portes ouvertes — , on se perd face à la grandeur des bâtiments, des espaces verts, l’impérialisme de l’entrée principale — un vieux portail en acier avec l’inscription de la faculté de sciences de Bordeaux inscrit dessus — qui de suite désoriente.
À vrai dire, la « visite guidée » est plutôt un quasi-surplace, pour éviter de perdre les gens en route. De toute manière, pour les licences de science, seuls quatre bâtiments sont importants : le bâtiment principal (celui des amphis), le bâtiment d’anglais, pour les cours de lettre, juste en face, et la bibliothèque universitaire et le « ru » (comprenez : resto U, ou restaurant universitaire) de l’autre côté du « pont Stargate », comme il est écrit sur le plan distribué par le personnel du CROUS. Le tout s’étale sur une centaine de mètres, même pas, piétons depuis l’an dernier qui plus est. Toutefois, les plus aguerris pourront prendre leurs pieds, leur vélo ou le tram pour aller à une borne de là, où un meilleur RU sera à leur disposition, comme nous le signale une étudiante du BVE :
« Niveau qualité, le RU ici c’est “moyen / bof”, le RU n°2 c’est super bon. »
Une fois le “tour” fini, je m’avance enfin vers la reprographie, où la file d’attente a sensiblement diminué. J’attends donc un quart-d’heure, avant de descendre dans ce qui semble être le sous-sol du bâtiment — ou plutôt le niveau 0, la fac étant en hauteur — où des tas et des tas de papiers se tassent sur les bureaux, sur les armoires, sur le sol. Des centaines, des milliers de cahiers, contenant probablement une bonne centaine de milliers de feuilles, sont distribués à la pelle aux néo-bacheliers qui vont débuter dans leurs études supérieures. Ces livrets contiennent la plupart des cours pour le semestre, mais aussi de nombreux exercices en « travaux dirigés », et même quelques TP — quoi de plus normal en sciences. Nouvelle spécificité de la fac dont je n’étais pas au courant, et dont j’ai été agréablement surpris : ici, pas de bouquin, et la plupart des cours sont déjà imprimés, ce qui incite fortement à l’apprentissage chez soi. J’ai donc payé 7€80 pour une dizaine de « fascicules » comportant entre 15 et 100 pages chacun.
Une fois cette formalité finie, je flâne tranquillement dans l’enceinte du bâtiment, à la découverte des lieux. Le couloir est jonché de tables. Contre les murs, les fameuses « associations étudiantes et entreprises partenaires » s’exposent toute la journée, en tout cas pour celles qui sont venues (oui, je parle à toi la SNCF). On y trouve de tout, mais essentiellement de la vie de campus : associations étudiantes à thème (asso de chimie, de maths…), la CAF, mais aussi TBM, aka Transports Bordeaux Métropole, l’entreprise publique qui gère les transports (bus, tram) dans l’enceinte de la métropole bordelaise, et qui disposait même d’un outil pour faire les abonnements jeunes illimités sur place. De l’autre côté du pont, il y a certes une agence TBM (l’une des cinq sur la métropole)… mais la file d’attente après l’amphi allait jusqu’à l’arrêt de tram d’à côté (ironie du sort), à une trentaine de mètres. Dans le couloir, on retrouve également le BVE… et l’UNEF, seul syndicat étudiant représenté, dans la fac de sciences en tout cas. Ma fac est-elle apolitique ?
J’ai faim
Entre balades dans et autour du bâtiment et recherche perpétuelle d’éventuelles connaissances, j’en viens à oublier l’heure, et me rends compte (un peu tard) qu’il est bientôt 13h, l’heure d’aller manger au resto U. J’étais déjà passé par le resto U à côté de la fac la veille, pour m’habituer aux lieux, et, me rappelant des conseils prodigués par la cheffe guide, je me décide d’aller manger au restaurant universitaire n°2, en vélo. Les deux restos U sont censés fermer à 13h30, donc j’ai légitimement le temps. Quelle déception en voyant à 13h05 qu’il ne reste plus à manger… que des nuggets de « volaille » et de la semoule. Végétarien, je change donc d’avis (heureusement que je n’étais qu’entré dans la file) et atterrit donc au premier restaurant universitaire, celui proche de la fac, vers 13h10. Horreur : les chaînes sont déjà fermées, plus possible d’entrer dans le service. Je descends donc à la cafétéria à côté… plus de sandwich ou d’en-cas salé. Idem pour l’autre cafétéria dans le campus… Et le foodtruck proposé par l’université est cher… Je me résigne donc, et rentre chez moi, où des lasagnes courgettes-chèvre préparées deux jours avant m’attendent dans le frigo.
Le reste n’est que vie étudiante d’un ordinaire vendredi : manger, ranger, se préparer, faire ses valises, partir, marcher, prendre le tramway, attendre le train, prendre le train, et rentrer, tard le soir, chez soi. Cette première journée n’aura pas été fatigante (contrairement aux quatre heures de transports), mais m’aura fait découvrir un peu l’université. L’amphithéâtre, les TD, et surtout ce paquet de feuilles qui va me servir de cours : je vais devoir m’habituer à tout cela, qui va faire ma vie à l’université, durant ces (normalement) trois années de licence. Et vite : mon premier cours est… ce lundi [lundi 10, ndlr], dès 8h du matin, avec trois heures de méthodologie. Emploi du temps chargé (lundi, jeudi, de 8h à 20h30) et six heures de mathématiques d’affilée : pas de doute, je suis bien entré à l’université.