Le début d’une nouvelle ère.

Être jeté dans le bain

Premier jour de cours à l'université

Nous y voilà. Nous sommes le lundi 10 septembre, il est 07h10, et mon réveil sonne.
Aujourd’hui, c’est (vraiment) la rentrée. Le premier jour de cours. Celui où je vais découvrir les têtes de mon groupe de TD. Celui où je vais commencer à écrire sur un calepin, à refaire ma hiérarchie des couleurs et la mise en page de mes cours. Celui où je vais me perdre dans les salles, et où je vais devoir parler avec des gens pour être… social ?

Le couloir, presque vide, du bâtiment principal du collège Sciences & Technologies de l’Université de Bordeaux.

Le couloir, presque vide, du bâtiment principal du collège Sciences & Technologies de l’Université de Bordeaux.

J’ai beaucoup d’appréhension à l’idée d’entrer enfin dans la vie étudiante, avec les amphis, les cours… Combien sera-t-on ? Comment s’intégrer dans le groupe ? Vais-je réussir à parler anglais [dans le cours d’anglais] ?

Pour éventuellement me faire repérer de quelques personnes qui sauraient « le code », j’avais commandé auprès d’une amie des bracelets* L’amie en question… Abonnez-vous ;) , au cas où certains comprendraient le sens intrinsèque des couleurs. Malheureusement, ils ne sont pas arrivés à temps, et je me suis rabattu sur le port d’un de mes nombreux Qwertee, des tee-shirts à référence geek. Peut-être quelqu’un connaîtra le site, ce qui fera un bon “premier ami”.


C’est la première fois que j’entends mon réveil sonner depuis deux mois et demi… date de la dernière épreuve du baccalauréat. C’est dur. Après deux mois à trimer au son des cloches, à se réveiller à neuf heures, parfois dix heures, au lieu des sept heures habituelles, le fait d’entrer la musique sortir de son téléphone, couper ses rêves, et de devoir se lever pour l’éteindre, redevient corvée. La musique n’est que bruit. Et recommence ce rituel incessant qui démarre la journée aux aurores.

Flemme de se lever, mais sonnerie qui se fait de plus en plus forte, jusqu’à être assourdissante, quand bien même le téléphone est posé à cinq mètres de là, lever, petit-déjeuner, préparation, vérification des affaires… tâches auxquelles s’ajoutent désormais la fermeture du logement, et les kilomètres à faire à vélo, et non plus en transport scolaire. Puis, me voilà arrivé.

Premier cours : à la recherche de la salle

Dès le premier cours, je me perds, croyant être dans le bâtiment principal… mais au final, devant aller à celui d’en face. L’emploi du temps se charge lentement sur mon téléphone , mais suffisamment rapidement pour que je ne sois pas en retard devant la salle. Je monte les marches me séparant du premier étage, dans un flot continu d’élèves, qui veulent accéder à leurs salles de cours. Arrivé sur le sas du premier étage, que faire ? Pas d’indications du numéro des salles, de placement, et me voilà à chercher ma salle entre les deux ailes du bâtiment. Et merde, je vais du mauvais côté.

Je ne suis heureusement toujours pas à la bourre, et me voilà devant la salle qui va accueillir mon premier TD, celui de méthodologie en lettres & communication… Devant, le monde est déjà. On doit être une trentaine, je pense. Silence absolu. Quelques-un sont sur leur portable, d’autres comme moi regardent ci et là les gens, pour apprendre les têtes de classe. Je repère quelqu’un avec qui je pourrais peut-être vite être proche. Eye contact, comme on dit, puis le regard fuit. Personne ne parle, et c’est à peine qu’on entend les bruits des sacs sur les dos des gens.

Puis, l’enseignante qui nous fait le cours nous fait signe de rentrer. Les désormais étudiants entrent, dans la salle, qui peut accueillir jusqu’à 40 étudiants. Ne sachant pas où me placer, je me mets au premier rang… où est déjà installé la personne citée plus haut. Je prends la chaise qui est à son bord… et il me dit : « J’aime bien ton tee-shirt ! » C’est bon, je me suis fait une connaissance.

La prof se présente, note son adresse e-mail sur le tableau. Puis est déjà interrompue par un étudiant qui toque à la porte : il est en retard… mais ne sait pas si c’est son cours ou non.

« Pardonnez-moi, vous saurez où est M. [X] ?
 — Quel est votre code d’UE ?
 — Je ne sais pas… »

La prof lui dira de se renseigner autre part (j’ai pas bien suivi où), puis revient vers nous : Un code en PS103B51, pour : portail SVT, troisième classe de premier semestre, série B, cinquième groupe de TD, groupe de TP n°1…
Le code UE est un code similaire.

« À chaque fois, n’oubliez pas de dire votre code de formation* et votre UE*. »

Idem pour les pièces jointes, elle affirme : toujours écrire les pièces jointes Nom_typedetravail_numéro [Dupont_TP_2, par ex], pour que le prof ne perde pas le travail… Ou, toujours dans la catégorie conseils, programmer l’envoi de ses mails (avec une fonction interne à l’université), pour qu’il soit reçu en “heure de pointe”, et qu’il ne soit pas oublié derrière quinze à vingt autres mails.

Puis là, le cours commence. Cours de « LCO », qui a pour objectifs de nous faire « travailler en équipe, conduire une recherche bibliographique, traiter et synthétiser l’information pour étudier une problématique, présenter son travail à l’oral »… Oui, si j’écris ça aussi précisément, c’est que je l’ai écrit. Premier cours, premières notes, et on ne sait pas très bien quoi retenir. J’ai certes avec moi le « fascicule » de l’UE (le cours, en polycopiés), mais les indications de la prof, ce qu’elle affiche : cela fait-il parti du cours, devra-t-on le ressortir lors des partiels, ou est-ce une introduction digne de tout prof pédagogue qui commence son cours par expliquer le pourquoi du comment, sachant que personne n’en a rien à carrer ? Au final, on note, puis on écoute. La LCO est en fait une sorte de cours de voix, d’éloquence, pour à terme se préparer aux soutenances orales. Car justement, le semestre se valide… avec un exposé en sciences. Le parallèle peut être fait logiquement avec les TPE (Travaux Personnels Encadrés), ces exposés obligatoires à faire en première générale, et qui donnent des points bonus pour le bac… mais la prof s’en défend :

« Tout le monde a travaillé dans votre groupe [de TPE] ?
*silence*
Donc c’était bien un TPE. »

Reste que cela ressemble à s’y méprendre à un TPE : une équipe de quatre étudiants va devoir présenter un thème en trouvant une problématique, faisant un plan détaillé, avec un diaporama, dans une soutenance de huit minutes, plus quatre minutes de questions, tout en incluant la bibliographie associée. Et le groupe de TD devra être fait d’ici… le prochain cours, lundi prochain, dernier délai — alors que personne dans la classe ne se connaît encore.

Viennent ensuite des détails qui vont être précisés pour chaque cours de la journée par la suite : le « planning », c’est-à-dire le nombre de séances dans le semestre (qui compte une douzaine de semaines… oui, un semestre de trois mois), les « modalités de contrôle des connaissances », c’est-à-dire les évaluations (spoiler : un oral et un partiel), les responsables d’UE et leurs mails.

« Vous dormez un peu, déjà ?! »
 — L’enseignant de méthodologie, à 8h30.

Là, le cours débute, enfin, je crois. Et à mon grand étonnement… par une analyse d’une vidéo d’e-penser sur les faux souvenirs, entre « talent oratoire » (avec toute la mécanique derrière : implication de l’auditeur, reformulation de la progression…) et « inventivité ». Plus rien ne peut m’étonner. Ah si, peut-être la publicité de la prof pour son Tippee.

Deuxième cours : malaise dans la salle

Après une heure vingt de cours — la durée minimale des enseignements à la fac… c’est long — , la prof nous souhaite une bonne semaine, et nous partons en direction… de l’autre côté du bâtiment, où nous avons rendez-vous pour de la méthodologie… des sciences, cette fois-ci. Ici, pas de conseil pour être un bon orateur : on parle dimensions et incertitudes… de mesures physiques. Un programme tout à fait rébarbatif, sachant que tous deux ont déjà été vus (du moins, en partie) en Terminale S, classe d’où vient la majorité des élèves.
Mais c’était sans compter sur la pédagogie du prof, qui en vingt minutes de cours, nous a tous fait décrocher. Pour un, le mal de crâne est allé au niveau supérieur : ne se sentant pas très bien, il demande à aller aux toilettes… avant de faire un malaise dans le couloir. Bonne ambiance.

Un couloir vide de salles de TD, à l’université de Bordeaux.

Un couloir vide de salles de TD, à l’université de Bordeaux.

Troisième cours… et premier amphi

Après ce brainfuck général et ce malaise qui a tué tout espoir de sociabilisation pour les gens ce matin, nous nous rendons dans le bâtiment principal, pour le troisième (et dernier) cours de la matinée : chimie, en amphithéâtre. La chimie sera (avec UN cours de Culture Numérique) le seul cours prodigué dans une salle de plus de cinquante places, les autres enseignements étant tous faits en groupe de TD… au premier semestre, choix de l’Université.

L’amphi est loin d’être bondé, même en incluant les élèves en retard. Et, surprise : le prof est jeune, dynamique, et surtout sympa. Jouant des traits d’humour au milieu des atomes, il arrive à décrocher un petit rire général à plusieurs reprises.

Le début de l’amphi se passe comme pour les autres cours : présentation, adresse e-mail, planning — des groupes de TD notamment… pas de TP \o/ — , examens (un DS et un partiel), mais aussi gestion des absences, où il nous apprend la règle pour tout le campus — que personne ne connaissait — , guide pour aller sur les cours en ligne (idem, personne n’avait pris le temps de nous l’expliquer auparavant), livre de chimie (optionnel), et même son avis du travail personnel.

« Alors, sur le diapo il est écrit 2h de travail [personnel] pour 1h20 de cours… mais moi quand j’étais plus jeune, j’avais une astuce : je me mettais au premier rang, et j’écoutais tout ce que disait le prof. D’ailleurs, ça m’étonne que tout le monde ne se soit pas mis devant, là, car si j’étais vous, je mettrais tout le monde ici… et je travaillais pas chez moi ! »

À vrai dire, une première vision de l’amphi confirme les dires des déjà-étudiants sur Twitter : une majorité d’étudiants est agglutinée dans la moitié supérieure de la salle, tandis que 40 % (à la louche) sont sur la moitié inférieure. Le premier rang est vide, et les gens sont disposés plus sur les côtés qu’au milieu de l’amphithéâtre, de 180 places (selon le plan de secours) environ. Et après une heure de cours, certains matent des vidéos sur les deux-trois ordinateurs que des gens ont amené dans la salle, d’autres dorment, ou parlent entre eux — pas du cours, à priori… bienvenue à la fac.

Il faut dire que le cours n’est pas des plus intéressants : pour l’heure, ce n’est que reprise du programme du lycée sur les atomes : numéro atomique, aspect ondulatoire… mais évidemment, tous ceux qui suivent notent quand même, soit par automatisme, soit par volonté de ne rien perdre de la fac, au cas où cela serait évalué en partiels. Pour ma part… un peu des deux.

En fin d’amphi, j’allais partir, quand — AH! — quelqu’un me surprend, derrière moi. C’est ce fameux élève de « Génération Test » Image d'illustration « Génération Test » La précédente saison de mon épopée : la vie de lycéens en Terminale à l’aube de Parcoursup. qui voulait partir en prépa, et qui s’était même retrouvé en attente en licence à Montpellier à la mi-juin… qui finalement a pris en procédure complémentaire, Bordeaux. Enfin quelqu’un que je reconnais, et il est dans ma série ! L’occasion de manger ensemble, au restaurant universitaire ( ouvert cette fois Image d'illustration Le début d’une nouvelle ère. Les rentrées ne sont jamais ordinaires, mais celle-ci est unique : mon premier jour à l’université de Bordeaux. ).

Lui aussi était perdu en arrivant à la fac, sans amis, sans connaissances. Et contrairement à moi, il n’a fait ni portes ouvertes, ni visite guidée durant son inscription : il découvre presque le campus aujourd’hui. Il est en colocation, à trente minutes de tramway d’ici, avec une autre personne de « Génération Test », qui elle est en psycho à Bordeaux-Montaigne (à deux kilomètres de là)… et son premier cours était l’amphi de chimie. Pour l’instant, il s’est fait une “amie”, qui a déjeuné avec nous ce midi. Timide, elle ne parlera presque pas du repas, alors que nous discutons du devenir de nos ex-camarades, de vie étudiante et de qualité de nourriture.


Quatrième cours : nous sommes perdus

Après nous être rassasiés, nous devons directement aller en cours, car la méca n’attend pas. Oui, cet après-midi, j’ai trois heures de mécanique du point et du solide, un cours parmi les deux de physique, qui pèsent dans mon semestre.
Et bien… c’est long.

L’enseignant-chercheur en astronomie nous présente le programme : mécanique du point, dynamique, etc. Un programme qui déjà n’enchante pas beaucoup, avant qu’il s’enfonce en annonçant le nombre d’examens : trois partiels, deux DS intermédiaires et deux TP, avec des coefficients au centième près. Puis le prof cherche à se rassurer :

« Y a pas de bac ES ? … Ça va. »

En effet, ces bac ES (qui n’ont jamais fait de mécanique) auraient été perdus. Dès le début, le professeur pose comme question : « Qu’est-ce qu’un vecteur ? » et cherche en vain une bonne réponse parmi nos propositions.

« Un vecteur représente un bipoint auxquels avec deux autres points il forme un parallélogramme. »

Et c’est parti pour un cours qui va en déboussoler plus d’un. Les bases de mécanique, pourtant vues en Terminale S (ou STI), sont revues mais d’une manière toute autre (on parle de produit vectoriel… qu’on verra “plus tard”), avec des outils jamais vus auparavant (coordonnées sphériques, cylindriques) et des notations qui donnent l’impression que l’on ne connaissait rien du sujet. À plusieurs reprises, et en début de cours notamment, le prof demande régulièrement si « ça va, vous comprenez tout ? Dites-le si vous êtes perdus. » Mais à part quelques remarques sur la définition de tel ou tel mot, tout le monde écoute… et comprendra plus tard.

Au milieu des trois heures, le prof accorde tout de même une pause. Mais juste avant celle-ci, le prof fait une digression avant de nous l’accorder… pour faire la promotion des façades en verre, installées depuis quelques années sur les murs des bâtiments.

« On a doublé la façade en verre sur tous les bâtiments ! Tous, sauf deux. Les deux qui étaient vers le nord, on les a rasés. »

La double façade permet en effet d’avoir une bien meilleure isolation l’hiver… et de crever de chaud de jour (vraiment.) Mais peu importe, « la consommation en fioul a été divisée par 7 ! »

« Ça c’est exceptionnel ! [À] Paris V, Paris VI, pour pas les nommer, vous allez pleurer ! »

Les dites façades en verre, caractéristique des bâtiments de l’Université de Bordeaux. Ici, à Talence.

Les dites façades en verre, caractéristique des bâtiments de l’Université de Bordeaux. Ici, à Talence.

À la pause, j’en profite pour demander au prof (qui est visiblement au courant de plein de choses à la fac, lui qui y enseigne depuis vingt-six ans) le taux d’élèves qui échouent cette licence. D’après lui, 55 % font leur licence en trois ans, 10 % en quatre… et les 35 autres % abandonnent ou sont réorientés. Yes.

Cinquième cours : annulé \o/

Durant le cours, j’apprends par l’intermédiaire de ma voisine, avec qui je vais rester proche par la suite, que le cours suivant, qui était censé être de l’anglais jusqu’à 20h30 (oui…) est annulé, en tout cas, supprimé de l’emploi du temps. En effet, les groupes d’anglais n’ont pas encore été constitués… le QCM de positionnement devant être fait avec ce mardi. Joie personnelle, de pouvoir rentrer chez soi à 17h au lieu d’arriver à 21h.

À 16h50, le prof nous laisse partir, le cours est fini. Je crois que nous sommes tous un peu éreintés de cette journée, entre prise de marques et disparition complète des repères que l’on avait jusqu’alors. Les cours ne sont pas (ou pas souvent) hiérarchisés, du coup on ne sait pas où placer les paroles de l’enseignant·e (et oui, à la fac il faut s’habituer à l’écriture inclusive, aussi). Parle-t-il pour le cours ? Fait-il une digression ? De plus, on nous dit que le cours est dans le fascicule ou sur internet… alors pourquoi noter ?
Côté connaissances, la classe est restée muette toute la journée. À quelques reprises, on en a entendu un ou deux ici, surtout moi d’ailleurs, répondre au professeur ou faire des remarques (ça, c’est moi). Peut-on encore parler de classe d’ailleurs ? Quand d’un cours à l’autre, l’effectif passe de 38 élèves recensés en TD, à une grosse centaine, l’ambiance n’est pas la même. Pour l’heure, personne n’a repéré des têtes, hormis quelques cas dont on se souvient de suite (la seule blonde à lunettes ronde, l’hipster de la classe…), et personne ne se parle. Un silence règne, que seule la prof et le bruit des affaires scolaires peut éliminer. Mais cela va vite changer de toute façon, car d’ici jeudi… il va falloir constituer des groupes, pour la méthodologie. Et pour cela, il faudra communiquer.

Photographie d'Adrien
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